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Prouvons d’abord que pour établir la propriété, le consentement social était nécessaire.

Tant que la propriété n’est pas reconnue et légitimée par l’état, il reste un fait extra-social ; elle est dans la même position que l’enfant, qui n’est censé devenir membre de la famille, de la cité et de l’église, que par la reconnaissance du père, l’inscription au registre de l’état civil, et la cérémonie du baptême. En l’absence de ces formalités, l’enfant est comme le croît des animaux : c’est un membre inutile, une âme vile et serve, indigne de considération ; c’est un bâtard. Ainsi la reconnaissance sociale était nécessaire à la propriété, et toute propriété implique une communauté primitive. Sans cette reconnaissance la propriété reste simple occupation, et peut être contestée par le premier-venu.

« Le droit à une chose, dit Kant[1], est le droit de l’usage privé d’une chose au sujet de laquelle je suis en communauté de possession (primitive ou subséquente) avec tous les autres hommes : car cette possession commune est l’unique condition sous laquelle je puisse interdire à tout autre possesseur l’usage privé de la chose ; parce que sans la supposition de cette possession, il serait impossible de concevoir comment moi, qui ne suis cependant pas actuellement possesseur de la chose, je puis être lésé par ceux qui la possèdent et qui s’en servent. — Mon arbitre individuel ou unilatéral ne peut obliger autrui à s’interdire l’usage d’une chose, s’il n’y était obligé d’ailleurs. Il ne peut donc être obligé que par les arbitres réunis en une possession commune. S’il n’en était pas ainsi, on serait dans la nécessité de concevoir un droit dans une chose, comme si elle avait une obligation envers moi, et d’où dériverait en dernière analyse le droit contre tout possesseur de cette chose : conception vraiment absurde. »

Ainsi, d’après Kant, le droit de propriété, c’est-à-dire la légitimité de l’occupation, procède du consentement de l’état, lequel implique originellement possession commune. Il ne peut pas, dit Kant, en être autrement. Toutes les fois donc que le propriétaire ose opposer son droit à l’état, celui-ci, rappelant le propriétaire à la convention, peut toujours terminer le litige par cet ultimatum : Ou reconnaissez ma souveraineté, et soumettez-vous à ce que l’intérêt public réclame ; ou je déclare que votre propriété a cessé d’être placée sous la sauvegarde des lois, et je lui retire ma protection.

  1. Principes métaphysiques du droit, Iraduction de Tissot.