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mière de ces opinions n’est qu’un cercle vicieux où le phénonomène est donné comme explication du phénomène ; la seconde est éminemment éversive de la propriété, puisque avec le travail pour condition suprême, il est de toute impossibilité que la propriété s’établisse. Quant à la théorie qui fait remonter la propriété à un acte du pouvoir collectif, elle a le défaut de se taire sur les motifs de ce vouloir : or ce sont ces motifs qu’il importait précisément de connaître.

Toutefois, bien que ces théories, considérées séparément, n’aboutissent toujours qu’à une contradiction, il est certain qu’elles contiennent chacune une parcelle de vérité ; et l’on peut même présumer que si, au lieu de les isoler, on les étudiait toutes trois d’ensemble et synthétiquement, on y trouverait la vraie théorie, je veux dire la raison d’existence de la propriété.

Oui donc, la propriété commence, ou pour mieux dire elle se manifeste par une occupation souveraine, effective, qui exclut toute idée de participation et de communauté ; oui encore, cette occupation, dans sa forme légitime et authentique, n’est autre que le travail : sans cela, comment la société eût-elle consenti à concéder et à faire respecter la propriété ? Oui, enfin, la société a voulu la propriété, et toutes les législations du monde n’ont été faites que pour elle.

La propriété s’est établie par l’occupation, c’est-à-dire par le travail : il faut le rappeler souvent, non pas pour la conservation de la propriété, mais pour l’instruction des travailleurs. Le travail contenait en puissance, il devait produire, par l’élévation de ses lois, la propriété ; de même qu’il avait engendré la séparation des industries, puis la hiérarchie des travailleurs, puis la concurrence, le monopole, la police, etc. Toutes ces antinomies sont au même titre des positions successives du travail, des jalons plantés par lui sur sa route éternelle, et destinés à formuler, par leur réunion synthétique, le véritable droit des gens. Mais le fait n’est pas le droit : la propriété, produit naturel de l’occupation et du travail, était un principe d’anticipation et d’envahissement ; elle avait donc besoin d’être reconnue et légitimée par la société : ces deux éléments, l’occupation par le travail et la sanction législative, que les légistes ont mal à propos séparés dans leurs commentaires, se sont réunis pour constituer la propriété. Or, il s’agit pour nous de connaître les motifs providentiels de cette concession, quel rôle elle joue dans le système économique : tel sera l’objet de ce paragraphe.