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anglaise devra payer tous les ans, pour servir la rente, quatre mois de son travail : chose impossible sans doute, mais la plus heureuse qui pût arriver à l’Angleterre.

Un moment on a cru avoir trouvé le moyen de libérer l’état par l’amortissement. Tout a été dit sur cette invention, que je ne mentionne ici que pour mémoire. L’amortissement est un jeu à cache-cache, dans lequel l’état, spéculant à la fois sur son crédit et sur son discrédit, rachète les rentes qu’il a souscrites, lorsqu’elles descendent au-dessous du pair, au moyen de capitaux qu’il se procure à bas prix. De sorte que, par cette manœuvre d’amortissement, d’un côté l’état est intéressé à jouer à la baisse, par conséquent à se discréditer lui-même ; de l’autre, il a besoin, pour se procurer de nouveaux emprunts et relever son crédit, de jouer à la hausse, et par conséquent de se mettre dans l’impossibilité d’amortir. Cette puérilité, qu’on a dans le temps fort vantée, peut entre mille autres servir à donner la mesure des graves occupations d’un homme d’état.

Or, ce qui a lieu pour l’état, a lieu également pour la société. La société est divisée par le crédit en deux castes, l’une qui sans cesse donne crédit, l’autre qui le reçoit. Mais, tandis que dans l’état l’opération est une et centralisée, dans la société le crédit se divise à l’infini entre des millions d’emprunteurs et de capitalistes. Du reste, le résultat est toujours le même. Neuf banqueroutes de l’état en trois siècles, cent faillites enregistrées chaque mois au tribunal de commerce de la Seine : on peut, d’après ces chiffres authentiques, se faire une idée de l’action du crédit sur l’économie des peuples.

Faillite perpétuelle, banqueroute intermittente, voilà donc sur la société et sur l’état le dernier mot du crédit. Ne cherchez point d’autre issue : la science financière, en imaginant la caisse d’amortissement, vous a révélé sa contradiction. Il est désormais avéré que la vie dans l’humanité obéit à d’autres lois qu’aux catégories économiques : puisque s’il était vrai, par exemple, que l’humanité vécût et se développât par le crédit, l’humanité devrait périr, dans l’état tous les trente ans, et dans la société continuellement.

Mais la vie dans l’humanité est indéfectible ; mais la richesse et le bien-être, la liberté et l’intelligence sont en progrès continuel ; mais si le crédit réel nous condamne incessamment à mourir, le crédit personnel, qui revient toujours à la suite de chaque déconfiture, nous porte en avant d’un