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qu’elle atténue en rien le mal-être, elle ne fait que le répartir, et par cette répartition, elle l’augmente. C’est une maladie inflammatoire et locale, qui se trouve changée en une langueur universelle et chronique. On dit au pauvre : Souffre davantage, abstiens-toi, jeûne, sois plus pauvre encore, plus nécessiteux, plus dépouillé ; ne te marie pas, n’aime pas : afin que le maître dorme tranquille sur ta résignation, et qu’au dernier jour l’hôpital soit quitte de te prendre.

Mais qui me garantit que je recueillerai le fruit de cette longue privation ? À mesure que la vie s’écoule, la probabilité de vivre diminue ; et c’est pour conjurer une chance toujours décroissante qu’on exige de moi le sacrifice du bien présent, du bien réel ! La vie ne se recommence pas, et mon épargne ne saurait devenir la préparation d’une autre carrière. Le sage, le philosophe pratique, préfère une jouissance chaque semaine, à mille écus amassés par quarante ans d’une avarice solitaire. D’autant mieux qu’avec ce régime, on est à peu près certain de n’amasser que pour ses héritiers. Vous dites : La jouissance est passagère ; cette plénitude de la vie, qui fait le bonheur et la santé, ne se sent qu’à de rares intervalles et pendant des moments fort courts ; bref, le bonheur n’est pas de ce monde. De profonds moralistes soutiennent au contraire que la vie est précisément dans ces instants rapides où l’âme et les sens sont à bout de désir et de volupté, et que celui qui a connu cette ivresse de l’existence une seule fois, pendant une minute, a vécu. Quoi donc ! serait-ce pour me faire végéter que vous me défendez de vivre ? Et s’il n’y a point d’autre vie ?…

En somme :

Le but, philanthropique et avoué, de la caisse d’épargne, est de ménager à l’ouvrier une ressource contre les accidents qui le menacent, disettes, maladies, chômages, réduction de salaire, etc. Sous ce rapport, la caisse d’épargne témoigne d’une louable prévoyance et d’un bon sentiment : mais elle est la confession publique, et presque la sanction de l’arbitraire mercantile, de l’oppression capitaliste et de l’insolidarité générale, causes véritables de la misère de l’ouvrier.

Le but, économique et secret, de la caisse d’épargne, est de prévenir, au moyen d’une réserve, les émeutes pour les subsistances, les coalitions et les grèves, en répartissant sur toute la vie de l’ouvrier le malheur qui, d’un jour à l’autre,