Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraître la misère, comme il l’affirme maintenant ? et comment explique-t-il cette évidente contradiction ?

C’est, ajoute M. Fix un peu plus loin, je vais tout de suite à son dernier mot, c’est que le bonheur sur la terre s’accorderait mal avec notre destinée future : ce qui veut dire que l’économie politique est une énigme pour les économistes, et que M. Fix ne l’a pas devinée.

J’ose espérer, lecteur, que vous êtes plus avancé que cela.

Toutes les catégories d’ouvriers, comme l’a fort judicieusement observé M. Fix, participent aux dépôts des caisses d’épargne, et parmi les déposants, on trouve des individus de tout sexe, de tout âge et de toute condition. Cela prouve que toutes les conditions sont égales comme instruments de richesse, et qu’à tout âge, à tous les moments de sa vie sociale, l’homme peut être producteur, et devenir l’artisan de son bien-être. Ainsi se démontre de nouveau, à la caisse d’épargne, l’équivalence des fonctions et l’anomalie de la misère : tel est notre premier point.

Mais, dans chaque catégorie industrielle, la division du travail, les machines, l’organisation hiérarchique, les bénéfices du monopole, la répartition inique de l’impôt, le mensonge du crédit, font d’innombrables victimes, et rendent inutiles pour la multitude les efforts de l’industrie humaine, la prévoyance du législateur et toutes les combinaisons de la justice et de l’équité. Or, l’équilibre manquant dans la production, il y a nécessité qu’il fasse aussi défaut dans la répartition : et sans nous inquiéter de la contrariété qui pourrait exister, par la réalisation du bonheur ici-bas, entre la destinée présente et la destinée future, il est au moins certain que la destinée présente n’est pas d’accord avec elle-même, et que cette discordance vient de l’économie politique.

Que les comptes-rendus des caisses d’épargne fournissent donc la preuve du bien-être des déposants, nous l’admettons volontiers : mais si ces mêmes comptes-rendus fournissent en même temps la preuve du mal-être des non-déposants, qu’y aura-t-il de prouvé en faveur de l’économie politique ? Sur 400,000 ouvriers et domestiques que renferme Paris, 124,000 seulement sont inscrits aux caisses d’épargne : le reste, absent. Quel usage ceux-ci font-ils donc de leur salaire ? Deux exemples vont nous l’apprendre.

A Paris, un certain nombre d’ouvriers imprimeurs gagne depuis 5 jusqu’à 10 fr. par jour et travaille toute l’année : la grande majorité n’atteint pas 3 fr., et jouit de deux mois