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Mais, hélas ! la charité, si elle ne veut agir au hasard, et produire à la fin moins de bien que de mal, la charité doit, comme le crëdit, choisir ses sujets : la charité n’est elle-même qu’une espèce de placement, tantôt à réméré comme la salle d’asile et la crèche, tantôt à fonds perdu comme l’hôpital ; mais placement qui dans tous les cas devient d’autant plus efficace, que les gens à qui il s’adresse savent mieux le faire valoir, et, soit par eux-mêmes, soit par leurs descendants, sont à même de reconnaître un jour leurs obligations. La charité, le cœur autant que la raison nous le disent, est sans chaleur pour les incurables, comme le crédit est sans capitaux pour le commerçant ruiné. Aussi tous les livres qu’on a écrits sur la charité sont-ils pleins de cette maxime, que la charité doit se montrer avant tout intelligente, ce qui veut dire, ne se pas engager sans hypothèque, sous peine de s’exercer en pure perte, et encore de dégénérer en consommation improductive, en destruction

Ainsi la charité est menteuse et avare comme le crédit dont elle est l’image ! Il est étrange que les moralistes n’aient pu se déduire de l’affinité de deux choses en apparence si opposées, mais parfaitement identiques, la charité et l’usure, cette conclusion fatale, qui n’avait point échappé à l’ancienne théologie : c’est que la charité est véritablement une vertu surhumaine, un principe antisocial, subversif et anarchique, une vertu ennemie de l’homme. Il est étrange, disons-nous, qu’il se trouve encore des écrivains de renom, tels qu’un Michelet, pour prêcher au monde la régénération par l’amour et la toute-puissance du sacrifice.

Quoi ! vous ne sauriez pratiquer les œuvres de dévouement, exercer la charité, sans faire usage de votre raison, c’est-à-dire sans traduire votre charité et voire sacrifice en un acte de simple justice commutative, en une opération de crédit : et quand nous vous parlons d’organiser ce même crédit, d’organiser le travail, de créer la justice, de rendre la charité non-seulement intelligente, mais intelligible, vous criez tantôt au mercantilisme, tantôt à l’utopie ! Vous nous accusez de sécheresse, et nous reprochez de sacrifier à l’égoïsme, parce que nous voulons tout soumettre au calcul, au lieu de chauffer avec vous l’amour et la foi ! Vous préférez à l'arithmétique une charité hypocrite, qui ne se peut passer d’arithmétique sans devenir aussitôt imbécile ! Mais qui ne sait que la charité, le sacrifice, le renoncement, ne sont par vous défendus que parce que vous aimez l’inégalité, parce