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Ainsi le crédit, par sa condition essentielle, est inaccessible au travailleur, sans influence directe sur sa destinée, pour lui comme s’il n’existait pas. C’est la pomme d’or des Hespérides gardée par un dragon toujours veillant, et qui ne peut être cueillie que par l’homme fort, qui porte sur son bouclier la tête de Méduse, l’hypothèque. Le crédit n’a rien à faire aux pauvres, aux journaliers, aux prolétaires : le crédit pour eux est un mythe. Car le crédit ne peut ni ne doit s’adosser qu’à des réalités, non à des expectatives ; le crédit est réel, non personnel, comme disent les légistes. Pour que cette règle puisse être renversée et prise à rebours, il faut que par la réaction du travail contre le capital toutes les richesses appropriées soient redevenues richesses collectives, que les capitaux sortis de la société rentrent dans la société ; il faut, en un mot, que l’antinomie soit résolue. Mais alors le crédit ne sera plus qu’un organe secondaire du progrès ; il aura disparu dans l’association universelle.

Puisque le crédit ment, c’est qu’il vole. Le rapport de ces deux idées est aussi nécessaire que celui d’improductivité et misère. En effet, le crédit est l’organisation sur la plus vaste échelle de la royauté de l’argent et de la productivité du capital : deux fictions qui, sous le nom de crédit, viennent se concerter et s’unir pour consommer l’asservissement du travailleur.

Ne nous lassons pas de revenir aux principes.

Comme du capitaliste au travailleur il y a suprématie et dépendance, comme en autres termes le capital inaugure dans la société une féodalité inévitable ; ainsi, de la monnaie aux autres marchandises, il y a encore suprématie et subalternité. La hiérarchie des choses reproduit la hiérarchie des personncs. Alors même que, selon le système de Ricardo ou celui de M. Cieszkowski, tous les échanges s’opéreraient par l’intermédiaire de billets ou de titres de propriété des capitaux susceptibles de dégagement, la monnaie métallique serait encore le dieu caché qui, dans son oisiveté profonde et sa royale nonchalance, gouvernerait le crédit ; puisque c’est à son image que les valeurs circulantes auraient été, non pas faites, mais feintes : puisque la monnaie leur servirait toujours de mesure, que son estampille serait pour ainsi dire apposée sur le papier ; puisque celui-ci n’obtiendrait créance sur l’opinion, et crédit dans le commerce, que parce qu’on le saurait toujours, et à volonté, remboursable en argent ; puisqu’enfin, malgré cette généralité de la fiction, la consti-