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sein de la société une institution générale d’assurances pour la propagation et la perpétuité de la misère.

Jusqu’ici l’on a vu, à chaque évolution de l’économie politique, la distinction se creuser plus profonde entre le maître et le salarié, entre le capitaliste et le travailleur. Les machines et la concurrence, le monopole, l’organisation de l’état, les prohibitions comme les franchises, tout ce que le génie humain a imaginé pour le soulagement de la classe laborieuse, a constamment tourné au profit du privilège et à l’oppression de plus en plus écrasante du travail. Il s’agit maintenant de consolider l’œuvre, de fortifier la place contre les incursions de l’ennemi, et d’assurer le possesseur contre les attaques du dépossédé. — Mais, cette assurance, ce sera encore au spolié de la payer ; comme il est écrit : Tout par le travailleur, et tout contre le travailleur.

Ouvriers, travailleurs, hommes de labeur, hommes qui produisez, leur dit-on avec une emphase pleine de cajoleries, c’est pour vous, pour le soulagement de vos vieux ans que nous avons institué ces caisses d’épargne. Venez, apportez vos économies. Nous en ferons bonne et sûre garde ; nous vous en payerons l’intérêt : vous serez nos rentiers, et nous serons vos débiteurs. — Laboureurs ! vous empruntez à usure, et comme vous ne remboursez jamais, on vous exproprie. Venez à notre banque hypothécaire. Nous ne vous prendrons rien pour l’acte, nous n’exigerons point de remboursement, et moyennant un petit intérêt, au bout de trente-six, de quarante-cinq, de cinquante ans, vous serez libérés. — Manufacturiers, commerçants, industriels ! l’argent vous manque. Mais vous ne savez pas que vos usines, vos outils, vos maisons, votre clientèle, votre talent, votre probité, sont un minerai chargé d’or 1 Nous allons laver ce sable et dégager le métal précieux qu’il recèle ; et quand l’extraction aura été faite, nous vous rendrons tout, moyennant un léger escompte. — Pères de famille ! voulez-vous assurer, après votre mort, une dot à vos filles, une pension à vos veuves, une réserve à vos enfants en bas âge ? Nous ne vous demandons encore, à partir du jour de votre inscription, qu’un intérêt proportionné à votre âge de la somme que nous aurons à vous payer.

Et vous travaillerez, et vous vivrez sans inquiétude, et l’or coulera à flots. Vous serez riches, riches et heureux ; car vous aurez le travail, le débouché, la rente, des dotations, des héritages, du profit partout !