Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çus. Aussi ma surprise, d’abord extrême, a-t-elle cessé tout à fait, lorsque j’eus pu me convaincre que bon nombre d’économistes étaient de fort mauvais comptables, n’entendant rien du tout au doit et à l’avoir, en un mot à la tenue des livres. J’en fais le lecteur juge.

Qu’est-ce que l’économie politique ? C’est la science (accordons le mot) des comptes de la société, la science des lois générales de la production, de la distribution et de la consommation des richesses. Ce n’est pas l’art de produire du blé, ni de faire du vin, ni d’extraire du charbon, ni de fabriquer le fer, etc. ; ce n’est pas l’encyclopédie des arts et métiers : c’est, encore une fois, la connaissance des procédés généraux par lesquels la richesse se crée, s’augmente, s’échange, se consomme dans la société.

De ces procédés généraux, communs à toutes les industries possibles, dépendent le bien-être des individus, le progrès des nations, l’équilibre des fortunes, la paix au dedans et au dehors.

Or, dans chaque établissement industriel, dans chaque maison de commerce, à côté des ouvriers occupés à la production, à l’expédition, à la rentrée des marchandises ; en un mot, à côté des travailleurs spéciaux, il est un employé supérieur, un représentant, si j’ose ainsi dire, de la loi générale, un organe de la pensée économique, chargé de tenir note de tout ce qui se passe dans l’établissement, au point de vue des procédés généraux de la production, de la circulation et de la consommation. Cet employé est le comptable. C’est lui, lui seul, qui peut apprécier les effets d’une division du travail bien entendue ; dire quelle économie apporte une machine ; si l’entreprise couvre ou non ses déboursés ; combien la vente a donné de bénéfice ; quels sont les meilleurs débouchés, c’est-à-dire quels clients sont solvables, de quels autres on doit se méfier, en quel lieu on peut espérer d’en faire naître. C’est lui qui est le mieux placé pour suivre les manœuvres de la concurrence, prévoir les résultats d’un monopole, aviser de loin la hausse et la baisse ; c’est lui enfin qui, par ses comptes de traites et remises, connaît la situation de la place et celle du dehors en ce qui concerne le mouvement des valeurs commerciales et métalliques, et la circulation des capitaux. Le comptable, pour tout dire, est le véritable économiste à qui une coterie de faux littérateurs a volé son nom sans qu’il en sût rien, et sans qu’eux-mêmes se soient jamais doutés que ce dont ils faisaient tant de bruit