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Le négociant, après avoir ouvert, par débit et crédit, un compte à chacune des personnes avec lesquelles il est en relation d’affaires, en ouvre un autre, aussi par débit et crédit, pour chaque nature de valeurs qu’il est susceptible de recevoir et de livrer, et qu’il classe en quatre ou cinq grandes catégories : compte de caisse, compte de change, compte de marchandises générales, compte de divers, lesquels viennent à la liquidation ou inventaire se résoudre en un compte unique, celui des profits et pertes, exprimant pour le négociant ce que l’économiste appelle produit brut et produit net.

Ne dirait-on pas une immense circonvallation de forts, de bastions et de citadelles, préparée dès avant la création du monde par le destin, et qui emprisonne notre intelligence et tient en respect notre activité, à mesure que celles-ci essayent de se produire ? De quelque côté que la liberté se tourne, elle est aussitôt saisie, sans que jamais elle l’ait pu prévoir, par quelqu’une de ces fatalités économiques, qui, sous l’apparence d’instruments secourables, l’enserrent et l’asservissent, sans qu’il lui soit possible ni de se dérober à leur étreinte, ni de concevoir rien hors de leur cercle. Avant que le commerce et l’agriculture, l’art de compter comme celui de se rendre compte, eussent été inventés, le langage, formé spontanément, antérieur à toute institution politique et économique, soustrait par conséquent à l’influence des préjugés postérieurs, le langage exprimait déjà toutes les idées de travail, de prêt, d’échange, de crédit et de dette, de mien et de tien, de valeur et d’équilibre. La science économique existait ; et Kant, au rebours des économistes qui se glorifient de n’ajouter foi qu’au plus grossier empirisme, n’eût pas manqué de ranger l’économie politique, s’il s’en fût occupé, parmi les sciences pures, c’est-à-dire possibles à priori par la construction des principes, et indépendamment des faits.

Dans un sujet comme celui que je traite, tout devait être nouveau et imprévu. J’ai longtemps cherché pourquoi, dans les ouvrages destinés à l’enseignement de l’économie politique, depuis A. Smith jusqu’à M. Chevalier, il n’est nulle part fait mention de la comptabilité de commerce. Et j’ai fini par découvrir que la comptabilité, ou plus modestement la tenue des livres, étant toute l’économie politique, il était impossible que les auteurs de fatras soi-disant économiques, et qui ne sont en réalité que des commentaires plus ou moins raisonnables sur la tenue des livres, s’en fussent aper-