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par l’intérêt, l’Église fut obligée de retirer ses foudres et d’ajourner ses anathèmes.

La maladie de notre siècle est la soif de l’or, c’est-à-dire le besoin de crédit ; qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? Que la morale hypocrite, la littérature famélique et la démocratie rétrograde se récrient contre le règne de la banque et le culte du veau d’or, ces imprécations inintelligentes ne font qu’accuser la marche triomphale de l’idée. Depuis le Sinaï, le veau d’or est le dieu qu’adore le genre humain, dieu fort, dieu invincible, qui ne trouve d’infidèles que parmi les contemplatifs qui, semblables à Moïse, oublient sur la montagne le manger et le boire. Israël ne s’est pas trompé lorsque, prosterné devant une masse d’or, il s’est écrié : Voilà le Dieu, Israël, qui t’a délivré de l’esclavage. Et Moïse ne s’est pas trompé non plus lorsqu’il a voulu que son peuple reconnût encore une puissance supérieure à l’or, et qu’il lui a montré tels que Jéhovah, la force créatrice, le travail en un mot, de la liberté et de la richesse.

Mais, comme dit le Sage, il y a temps pour chaque chose : temps pour la semaille, et temps pour la moisson ; temps pour Mammon, et temps pour Jéhovah ; temps pour le capital, et temps pour l’égalité. Dans la genèse économique, le culte de l’or devait précéder le culte du travail : aussi, comme l’a remarqué avec beaucoup de raison M. Augier, chaque progrès du crédit est une victoire remportée sur le despotisme ; comme si, avec le capital, se dégageait pour nous la liberté.

La lettre de change, la banque de dépôt, le change des monnaies, le prêt à intérêt, l’emprunt public, les comptes-courants, le numéraire fictif, l’intérêt composé et les procédés d’amortissement qui s’en déduisent, paraissent avoir été connus depuis un temps immémorial ; la transmissibilité de la lettre de change par voie d’endos, la création d’une dette publique et permanente, les hautes combinaisons du crédit, semblent d’invention plus moderne[1]. Tous ces pro-

  1. M. Augier, qui donne sur toutes ces choses d’intéressants détails, croit que l’origine en est toute phénicienne, et que c’est la tradition juive qui, après les avoir conservées pendant des siècles, les a fait reparaître tout à coup, vers la fin du moyen âge et au temps de la renaissance. Je goûte peu, je l’avoue, ces hypothèses de transmission entre les peuples d’idées nécessaires, que la réflexion saisit aussitôt que se produit l’objet qui les représente. Il en est des combinaisons du crédit comme du langage, de la religion et de l’industrie. Chaque peuple les développe spontanément en lui-même, sans le secours de ses voisins. selon la nature et le degré de ses propres besoins. Pour toutes les