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§ II. — Développement des institutions de crédit.


Le crédit est, de toute l’économie politique, la partie la plus difficile, mais en même temps la plus curieuse et la plus dramatique. Aussi, malgré le grand nombre d’ouvrages publiés sur la matière et dont quelques-uns sont d’une haute portée[1], j’ose dire que cette immense question n’a point encore été saisie dans toute son étendue, par conséquent dans toute sa simplicité. C’est ici surtout qu’on va voir l’homme, instrument de la logique éternelle, réaliser peu à peu et par une série de monuments une pure abstraction, le Crédit, comme nous l’avons vu précédemment convertir en réalités toute cette fantasmagorie d’idées abstraites, la division du travail, la hiérarchie, la concurrence, le monopole, l’impôt, la liberté du commerce. C’est en étudiant les divers problèmes auxquels donne lieu le crédit, que l’on achève de se convaincre que la véritable philosophie de l’histoire est dans le développement des phases économiques, et qu’on voit la constitution de la valeur apparaître décidément comme le pivot de la civilisation et le problème de l’humanité. Nous verrons la société, selon l’heureuse expression de M. Augier, tournant autour d’une pièce d’or, comme l’univers autour du soleil. Car il en est du crédit comme des phases que nous avons jusqu’à présent étudiées : « Ce n’est point, pour emprunter le langage du même écrivain, un fils direct de la volonté de l’homme, c’est un besoin dans la société humaine, une nécessité aussi impérieuse que celle de l’alimentation. C’est encore une force innée, providentiellement ou fatalement intelligente, faisant sa besogne de choses futures ou de révolutions ténébreuses… Les pouvoirs et les rois s’agitent, l’argent les mène : ceci soit dit sans parodier l’action de la Providence. »

Mais nous, disons-le sans scrupule : la philosophie de l’histoire n’est point dans ces fantaisies semi-poétiques dont les successeurs de Bossuet ont donné tant d’exemples ; elle est dans les routes obscures de l’économie sociale. Travailler et manger, c’est, n’en déplaise aux écrivains artistes, la seule fin apparente de l’homme. Le reste n’est qu’allée

  1. Je citerai entre autres, pour l’ensemble et l’originalité, l’ouvrage concis et plein de choses de M. Augier, Histoire du Crédit public, Paris, Guillaumin, 1842 ; et pour l’esprit philosophique, celui de M. Cieszkowski, Du Crédit et de la Circulation, Paris, Treuttel et Wurtz, 1839.