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tionnerait concurremment avec tous les banquiers du pays.

Dans le premier cas, la situation, loin de s’améliorer, empirerait, et la société marcherait à une prompte dissolution ; puisque le monopole du crédit dans les mains de l’état aurait pour effet inévitable d’annihiler partout le capital privé, en lui déniant son droit le plus légitime, celui de porter intérêt. Si l’état est déclaré commanditaire, escompteur unique du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, il se substitue à ces milliers de capitalistes et de rentiers vivant sur leurs capitaux, et forcés dès lors, au lieu de manger le revenu, d’entamer le principal. Bien plus, en rendant les capitaux inutiles, il arrête leur formation : ce qui est rétrograder par delà la deuxième époque de l’évolution économique. On peut hardiment défier un gouvernement, une législature, une nation d’entreprendre rien de pareil : de ce côté, la société est arrêtée par un mur de métal, qu’aucune puissance ne saurait renverser.

Ce que je dis là est décisif, et renverse toutes les espérances des socialistes mitigés qui, sans aller jusqu’au communisme, voudraient, par un arbitraire perpétuel, créer au profit des classes pauvres, tantôt des subventions, c’est-à-dire une participation de fait au bien-être des riches ; tantôt des ateliers nationaux et par conséquent privilégiés, c’est-à-dire la ruine de l’industrie libre ; tantôt une organisation du crédit par l’état, c’est-à-dire la suppression du capital privé, la stérilité de l’épargne.

Quant à ceux que de pareilles considérations n’arrêteraient pas, sans que j’aie ici besoin de leur rappeler la série déjà bien longue des contradictions qu’ils ont à résoudre avant de toucher au crédit, je me bornerai pour le moment à leur faire remarquer qu’en faisant la guerre au capital, en lui interdisant le placement, ils arriveraient vite non pas au dégagement et à la solidarité des valeurs, mais à la suppression du capital circulant, à l’abolition de l’échange, à l’interdiction du travail. Le commerce de l’argent, qui n’est autre que le mode suivant lequel s’exerce la productivité du capital, est nécessairement le plus libre, je veux dire le plus insaisissable, le plus réfractaire au despotisme, le plus antipathique à la communauté, par conséquent le moins susceptible de centralisation et de monopole. L’état peut imposer à la banque des règlements ; il peut, en certains cas, par des lois spéciales, restreindre ou faciliter son action : il ne saurait par lui-même, et pour son propre