Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tifs, plus qu’ils n’usent. Cette convention tacite s’accomplit par le commerce. À cette occasion, nous ferons observer que la succession logique des deux espèces de valeur apparaît bien mieux encore dans l’histoire que dans la théorie, les hommes ayant passé des milliers d’années à se disputer les bien naturels (c’est ce qu’on appelle la communauté primitive), avant que leur industrie eût donné lieu à aucun échange.

Or, la capacité qu’ont tous les produits, soit naturels, soit industriels, de servir à la subsistance de l’homme, se nomme particulièrement valeur d’utilité ; la capacité qu’ils ont de se donner l’un pour l’autre, valeur en échange. Au fond, c’est la même chose, puisque le second cas ne fait qu’ajouter au premier l’idée d’une substitution, et tout cela peut paraître d’une subtilité oiseuse : dans la pratique, les conséquences sont surprenantes, et tour à tour heureuses ou funestes. Ainsi, la distinction établie dans la valeur est donnée par les faits et n’a rien d’arbitraire : c’est à l’homme, en subissant cette loi, de la faire tourner au profit de son bien-être et de sa liberté. Le travail, selon la belle expression d’um auteur, M. Walras, est une guerre déclarée à la parcimonie de la nature ; c’est par lui que s’engendrent à la fois la richesse et la société. Non-seulement le travail produit incomparablement plus de biens que ne nous en donne la nature ; — ainsi, l’on a remarqué que les seuls cordonniers de France produisaient dix fois plus que les mines réunies du Pérou, du Brésil et du Mexique ; — mais le travail, par les transformations qu’il fait subir aux valeurs naturelles, étendant et multipliant à l’infini ses droits, il arrive peu à peu que toute richesse, à force de passer par la filière industrielle, revient tout entière à celui qui la crée, et qu’il ne reste rien ou presque rien pour le détenteur de la matière première.

Telle est donc la marche du développement économique : au premier moment, appropriation de la terre et des valeurs naturelles ; puis association et distribution par le travail jusqu’à complête égalité. Les abîmes sont semés sur notre route, le glaive est suspendu sur nos têtes ; mais, pour conjurer tous les périls, nous avons la raison ; et la raison, c’est la toute-puissance.