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cation de la raison et de la liberté humaine par la fatalité : il est absurde de regarder ces trois termes comme exclusifs l’un de l’autre et inconciliables, lorsque dans la réalité il se soutiennent, la fatalité servant de base, la raison venant après, et la liberté couronnant l’édifice. C’est à connaître et à pénétrer la fatalité que tend la raison humaine ; c’est à s’y conformer que la liberté aspire : et la critique, à laquelle nous nous livrons en ce moment, du développement spontané et des croyances instinctives du genre humain, n’est au fond qu’une étude de la fatalité. Expliquons cela.

L’homme, doué d’activité et d’intelligence, a le pouvoir de troubler l’ordre du monde, dont il fait partie. Mais tous ses écarts ont été prévus, et s’accomplissent dans certaines limites qui, après un certain nombre d’allées et de venues, ramènent l’homme à l’ordre. C’est d’après ces oscillations de la liberté que l’on peut déterminer le rôle de l’humanité dans le monde ; et puisque la destinée de l’homme est liée à celle des créatures, il est possible de remonter de lui à la loi suprême des choses, et jusqu’aux sources de l’être.

Ainsi je ne demanderai plus : Comment l’homme a-t-il le pouvoir de violer l’ordre providentiel, et comment la Providence le laisse-t-elle faire ? Je pose la question en d’autres termes : Comment l’homme, partie intégrante de l’univers, produit de la fatalité, a-t-il le pouvoir de rompre la fatalité ? comment une organisation fatale, l’organisation de l’humanité, est-elle adventice, antilogique, pleine de tumulte et de catastrophes ? La fatalité ne tient pas à une heure, à un siècle, à mille ans : pourquoi la science et la liberté, s’il est fatal qu’elles nous arrivent, ne nous viennent-elles pas plus tôt ? Car, du moment que nous souffrons de l’attente, la fatalité est en contradiction avec elle-même ; avec le mal, il n’y a pas plus de fatalité que de Providence.

Qu’est-ce, en un mot, qu’une fatalité démentie à chaque instant par les faits qui se passent dans son sein ? Voilà ce que les fatalistes sont tenus d’expliquer, tout aussi bien que les théistes sont tenus d’expliquer ce que peut être une intelligence infinie, qui ne sait ni prévoir ni prévenir la misère de ses créatures.

Mais ce n’est pas tout. Liberté, intelligence, fatalité, sont