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Mais d’autre part, les augustiniens, les thomistes, les congruistes, Jansénius, le P. Thomassin, Molina, etc., se sont étrangement mépris, lorsque, soutenant à la fois le libre arbitre et la grâce, ils n’ont pas vu qu’il y avait entre ces deux termes la même relation qu’entre la substance et le mode, et qu’ils ont avoué une opposition qui n’existe pas. C’est une nécessité que la liberté, comme l’intelligence, comme toute substance et toute force, soit déterminée, c’est-à-dire qu’elle ait ses modes et ses attributs. Or, tandis qu’en la matière le mode et l’attribut sont inhérents à la substance, contemporains de la substance ; dans la liberté le mode est donné par trois agents pour ainsi dire externes : l’essence humaine, les lois de la pensée, l’exercice ou l’éducation. La grâce, enfin, comme son opposé, la tentation, indique le fait même de la détermination de la liberté.

En résumé, toutes les idées modernes sur l’éducation de l’humanité ne sont qu’une interprétation, une philosophie de la doctrine catholique de la grâce, doctrine qui ne parut obscure à ses auteurs que par suite de leurs idées sur le libre arbitre, qu’ils croyaient menacé dès qu’on parlait de la grâce ou de la source de ses déterminations. Nous affirmons au contraire que la liberté, indifférente par elle-même à toute modalité, mais destinée à agir et à se façonner selon un ordre préétabli, reçoit sa première impulsion du Créateur qui lui inspire l’amour, l’intelligence, le courage, la résolution et tous les dons du Saint-Esprit, puis la livre au travail de l’expérience. Il suit de là que la grâce est nécessairement prémouvante, que sans elle l’homme n’est capable d’aucune espèce de bien, et que néanmoins le libre arbitre accomplit spontanément, avec réflexion et choix, sa propre destinée. Il n’existe dans tout cela ni contradiction ni mystère. L’homme, en tant qu’homme, est bon ; mais, ainsi que le tyran dépeint par Platon, qui fut lui aussi un docteur de la grâce, l’homme porte en son sein mille monstres, que le culte de la justice et de la science, la musique et la gymnastique, toutes les grâces d’occasion et d’état, doivent lui faire vaincre. Corrigez une définition dans saint Augustin, et toute cette doctrine de la grâce, fameuse par les