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Il y a une grâce habituelle, nommée aussi justifiante et sanctifiante, laquelle se conçoit comme une qualité qui réside dans l’âme, qui renferme les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, et qui est inséparable de la charité. — En autres termes, la grâce habituelle est le symbole des attractions en prédominance de bien, qui portent l’homme à l’ordre et à l’amour, et au moyen desquelles il parvient à dompter ses tendances mauvaises, et à rester maître dans son domaine. Quant à la grâce actuelle, elle indique les moyens extérieurs qui favorisent l’essor des passions d’ordre, et servent à combattre les passions subversives.

La grâce, selon saint Augustin, est essentiellement gratuite, et précède en l’homme le péché. Bossuet a exprimé la même pensée dans son style plein de poésie et de tendresse : Lorsque Dieu fit les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté. — En effet, la première détermination du libre arbitre est dans cette bonté naturelle, par laquelle l’homme est incessamment provoqué à l’ordre, au travail, à l’étude, à la modestie, à la charité et au sacrifice. Saint Paul a donc pu dire, sans attaquer le libre arbitre, que, pour tout ce qui regarde l’accomplissement du bien, Dieu opère en nous le vouloir et le faire. Car toutes les aspirations saintes de l’homme sont en lui dès avant qu’il pense et qu’il sente ; et le froissement de cœur qu’il éprouve lorsqu’il les viole, la délectation qui l’inonde lorsqu’il leur obéit, toutes les invitations enfin qui lui viennent de la société et de son éducation, ne lui appartiennent pas.

Lorsqu’une grâce est telle que la volonté se porte avec allégresse et amour sans hésitation et irrévocablement au bien, elle est dite efficace. — Tout le monde a vu de ces transports de l’âme qui décident tout à coup une vocation, un acte d’héroïsme. La liberté n’y périt pas ; mais, par ses prédéterminations, on peut dire qu’il était inévitable qu’elle se décidât ainsi. Et les pélagiens, les luthériens et autres ont eu tort de dire que la grâce compromettait le libre arbitre et tuait la force créatrice de la volonté ; puisque toutes les déterminations de la volonté viennent nécessairement, ou de la société qui la soutient, ou de la nature qui lui ouvre la carrière et lui montre sa destinée.