le nom de péché originel. C’est quand l’homme, réconcilié avec lui-même, cessera de regarder son prochain et la nature comme des puissances hostiles, c’est alors qu’il aimera et qu’il produira par la seule spontanéité de son énergie ; que sa passion sera de donner, comme elle est aujourd’hui d’acquérir ; et qu’il recherchera dans le travail et le dévouement son unique bonheur, sa suprême volupté. Alors l’amour devenant réellement et sans partage la loi de l’homme, la justice ne sera plus qu’un vain nom, souvenir importun d’une période de violence et de larmes.
Certes, je ne méconnais ni le fait de l’antagonisme, ou comme il vous plaira de nommer, de l’aliénation religieuse, non plus que la nécessité de réconcilier l’homme avec lui-même ; toute ma philosophie n’est qu’une perpétuité de réconciliations. Vous reconnaissez que la divergence de notre nature est le préliminaire de la société, disons mieux, le matériel de la civilisation. C’est justement le fait, mais, remarquez-le bien, le fait indestructible, dont je cherche le sens. Certes, nous serions bien près de nous entendre si, au lieu de considérer la dissidence et l’harmonie des facultés humaines comme deux périodes distinctes, tranchées et consécutives dans l’histoire, vous consentiez à n’y voir avec moi que les deux faces de notre nature, toujours adverses, toujours en œuvre de réconciliation, mais jamais entièrement réconciliées. En un mot, comme l’individualisme est le fait primordial de l’humanité, l’association en est le terme complémentaire ; mais tous deux sont en manifestation incessante, et sur la terre la justice est éternellement la condition de l’amour.
Ainsi le dogme de la chute n’est pas seulement l’expression d’un état particulier et transitoire de la raison et de la moralité humaine : c’est la confession spontanée, en style symbolique, de ce fait aussi étonnant qu’indestructible, la culpabilité, l’inclination au mal, de notre espèce. Malheur à moi pécheresse, s’écrie de toutes parts et en toute langue la conscience du genre humain, Væ nobis quia peccavimus ! La religion, en concrétant et dramatisant cette idée, a bien pu reporter en dehors du monde et en arrière de l’histoire, ce qui est intime et imminent à notre âme ; ce