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ment du salaire, par la coparticipation, par les distinctions et les récompenses. Certes, je n’entends point blâmer cette méthode vieille comme le monde : de quelque manière que vous apprivoisiez et rendiez utiles les serpents et les tigres, j’y applaudis. Mais ne dites pas que vos bêtes sont des colombes ; car pour toute réponse je vous ferais voir leurs ongles et leurs dents. Avant que les mécaniciens belges fussent intéressés à l’économie du combustible, ils en brûlaient moitié plus. Donc il y avait de leur part incurie, négligence, prodigalité, gaspillage, peut-être vol, bien qu’ils fussent liés envers l’administration par un contrat qui les obligeait à pratiquer toutes les vertus contraires. — Il est bon, dites-vous, d’intéresser l’ouvrier. — Je dis de plus que cela est juste. Mais je soutiens que cet intérêt, plus puissant sur l’homme que l’obligation consentie, plus puissant en un mot que le devoir, accuse l’homme. Le socialisme rétrograde dans la morale, et il fait fi du christianisme. Il ne comprend plus la charité, et ce serait lui, à l’en croire, qui aurait inventé la charité.

Voyez pourtant, observent les socialistes, quels heureux fruits a déjà portés le perfectionnement de notre ordre social ! Sans contredit la génération présente vaut mieux que celles qui l’ont précédée : avons-nous tort d’en conclure qu’une société parfaite produira des citoyens parfaits ? — Dites plutôt, répliquent les conservateurs partisans du dogme de la chute, que la religion ayant épuré les cœurs, il n’est pas étonnant que les institutions s’en soient ressenties. Laissez maintenant la religion achever son œuvre, et soyez sans inquiétude sur la société.

Ainsi parlent et se rétorquent dans une divagation sans fin les théoriciens des deux opinions. Ils ne comprennent pas, les uns ni les autres, que l’humanité, pour me servir d’une expression de la Bible, est une et constante dans ses générations, c’est-à-dire que tout en elle, à chaque époque de son développement, chez l’individu comme dans la masse, procède du même principe, qui est, non pas l’être, mais le devenir. Ils ne voient pas, d’un côté, que le progrès dans la morale est une conquête incessante de l’esprit sur l’animalité, de même que le progrès dans la richesse est le fruit de