nière que nous, qui croyons à un progrès indéfini, nous ne cessons de nier comme normale et définitive, la condition actuelle de la société. Seulement, tandis que Rousseau, par une combinaison politique et un système d’éducation à lui, s’efforçait de rapprocher l’homme de ce qu’il appelait la nature, et qui était pour lui l’idéal de la société ; instruits à une école plus profonde, nous disons que la tâche de la société est de résoudre sans cesse ses antinomies, chose dont Rousseau ne pouvait avoir l’idée. Ainsi, à part le système maintenant abandonné du Contrat social, et pour ce qui touche seulement à la critique, le socialisme, quoi qu’il dise, est encore dans la même position que Rousseau, forcé de réformer sans cesse la société, c’est-à-dire de la nier perpétuellement.
Rousseau, en un mot, n’a fait que déclarer d’une manière sommaire et définitive ce que les socialistes redisent en détail et à chaque moment du progrès, savoir, que l’ordre social est imparfait, et que quelque chose y manque toujours. L’erreur de Rousseau n’est pas, ne peut pas être dans cette négation de la société : elle consiste, comme nous allons le faire voir, en ce qu’il ne sut point suivre son argumentation jusqu’à la fin, et nier tout à la fois la société, l’homme et Dieu.
Quoi qu’il en soit, la théorie de l’innocence de l’homme, corrélative à celle de la dépravation de la société, a fini par prévaloir. L’immense majorité du socialisme, Saint-Simon, Owen, Fourier, et leurs disciples ; les communistes, les démocrates, les progressistes de toute espèce, ont solennellement répudié le mythe chrétien de la chute pour y substituer le système d’une aberration de la société. Et comme la plupart de ces sectaires, malgré leur impiété flagrante, étaient encore trop religieux, trop dévots pour achever l’œuvre de Jean-Jacques et faire remonter jusqu’à Dieu la responsabilité du mal, ils ont trouvé moyen de déduire de l’hypothèse de Dieu le dogme de la bonté native de l’homme, et ils se sont mis à fulminer de plus belle contre la société.
Les conséquences théoriques et pratiques de cette réaction furent que le mal, c’est-à-dire l’effet de la lutte intérieure et extérieure, étant chose de soi anormale et transitoire, les institutions pénitencières et répressives sont également tran-