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libre arbitre, devait être vaincue par la proportionnalité de la valeur, autre nécessité que produisent par leur union la liberté et l’intelligence. Mais, pour que cette victoire du travail intelligent et libre produisît toutes ses conséquences, il était nécessaire que la société traversât une longue péripétie de tourments.

Il y avait donc nécessité que le travail, afin d’augmenter sa puissance, se divisât ; et, par le fait de cette division, nécessité de dégradation et d’appauvrissement pour le travailleur.

Il y avait nécessité que cette division primordiale se reconstituât en instruments et combinaisons savantes ; et nécessité, par cette reconstruction, que le travailleur subalternisé perdît, avec le salaire légitime, jusqu’à l’exercice de l’industrie qui le nourrissait.

Il y avait nécessité que la concurrence vînt alors émanciper la liberté prête à périr ; et nécessité que cette délivrance aboutît à une vaste élimination des travailleurs.

Il y avait nécessité que le producteur, ennobli par son art, comme autrefois le guerrier l’était par les armes, portât haut sa bannière, afin que la vaillance de l’homme fût honorée dans le travail comme à la guerre ; et nécessité que du privilège naquît aussitôt le prolétariat.

Il y avait nécessité que la société prît alors sous sa protection le plébéien vaincu, mendiant et sans asile ; et nécessité que cette protection se convertît en une nouvelle série de supplices.

Nous rencontrerons sur notre route encore d’autres nécessités, qui toutes disparaîtront comme les premières sous des nécessités plus grandes, jusqu’à ce que vienne enfin l’équation générale, la nécessité suprême, le fait triomphateur, qui doit établir le règne du travail à jamais.

Mais cette solution ne peut sortir ni d’un coup de main, ni d’une vaine transaction. Il est aussi impossible d’associer le travail et le capital, que de produire sans travail et sans capital ; — aussi impossible de créer l’égalité par le pouvoir, que de supprimer le pouvoir et l’égalité, et de faire une société sans peuple et sans police.

Il faut, je le répète, qu’une force majeure intervertisse