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serviteur obéissant, un organe subalterne ? Comment le prince n’aurait-il reçu le pouvoir qu’afin de l’affaiblir, et travaillerait-il, en vue de l’ordre, à sa propre élimination ? Comment ne s’occupera-t-il pas plutôt de se fortifier, d’augmenter son personnel, d’obtenir sans cesse de nouveaux subsides, et finalement de s’affranchir de la dépendance du peuple, terme fatal de tout pouvoir sorti du peuple ?

On dit que le peuple, nommant ses législateurs, et par eux notifiant sa volonté au pouvoir, sera toujours à même d’arrêter ses envahissements ; qu’ainsi le peuple remplira tout à la fois le rôle de prince et celui de souverain. Voilà en deux mots l’utopie des démocrates, l’éternelle mystification dont ils abusent le prolétariat.

Mais le peuple fera-t-il des lois contre le pouvoir ; contre le principe d’autorité et d’hiérarchie, qui est le principe de la société elle-même ; contre la liberté et la propriété ? Dans l’hypothèse où nous sommes, c’est plus qu’impossible, c’est contradictoire. Donc la propriété, le monopole, la concurrence, les priviléges industriels, l’inégalité des fortunes, la prépondérance du capital, la centralisation hiérarchique et écrasante, l’oppression administrative, l’arbitraire légal, seront conservés ; et comme il est impossible qu’un gouvernement n’agisse pas dans le sens de son principe, le capital restera comme auparavant le dieu de la société, et le peuple, toujours exploité, toujours avili, n’aura gagné à l’essai de sa souveraineté que la démonstration de son impuissance.

En vain les partisans du pouvoir, tous ces doctrinaires dynastico-républicains qui ne diffèrent entre eux que sur la tactique, se flattent, une fois aux affaires, de porter partout la réforme. Quoi réformer ?

Réformer la constitution ? — C’est impossible. Quand la nation en masse entrerait dans l’assemblée constituante, elle n’en sortirait qu’après avoir voté sous une autre forme sa servitude, ou décrété sa dispersion.

Refaire le code, ouvrage de l’empereur, substance pure du droit romain et de la coutume ? — C’est impossible. Qu’avez-vous à mettre à la place de votre routine propriétaire, hors de laquelle vous ne voyez et n’entendez rien ? à la place de vos lois de monopole, dont votre imagination est