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nos mœurs. Ce que l’auteur du christianisme, dans un élan de sublime amour, racontait de son mystique royaume, où le pécheur repenti devait être glorifié par-dessus le juste innocent, cette utopie de la charité chrétienne est devenue le vœu de notre société incrédule ; et quand on songe à l’unanimité de sentiments qui règne à cet égard, on se demande avec surprise qui donc empêche que ce vœu ne soit rempli ?

Hélas ! c’est que la raison est encore plus forte que l’amour, et la logique plus tenace que le crime ; c’est qu’il règne ici, comme partout, une contradiction insoluble dans notre civilisation. Ne nous égarons pas dans des mondes fantastiques ; embrassons, dans sa nudité affreuse, le réel.

Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud,


dit le proverbe. Par cela seul que l’homme est puni, pourvu qu’il ait mérité de l’être, il est dégradé : la peine le rend infâme, non pas en vertu de la définition du code, mais en raison de la faute qui a motivé la punition. Qu’importe donc la matérialité du supplice ? qu’importent tous vos systèmes pénitenciers ? Ce que vous en faites est pour satisfaire votre sensibilité, mais est impuissant pour réhabiliter le malheureux que votre justice frappe. Le coupable, une fois flétri par le châtiment, est incapable de réconciliation ; sa tache est indélébile, et sa damnation éternelle. S’il se pouvait qu’il en fût autrement, la peine cesserait d’être proportionnée au délit ; ce ne serait plus qu’une fiction, ce ne serait rien. Celui que la misère a conduit au larcin, s’il se laisse atteindre par la justice, reste à jamais l’ennemi de Dieu et des hommes ; mieux eût valu pour lui ne pas venir au monde : c’est Jésus-Christ qui l’a dit, Bonum erat ei, si natus non fuisset homo ille. Et ce qu’a prononcé Jésus-Christ, chrétiens et mécréants n’y font faute : l’irrémissibilité de la honte est, de toutes les révélations de l’Évangile, la seule qu’ait entendue le monde propriétaire. Ainsi, séparé de la nature par le monopole, retranché de l’humanité par la misère, mère du délit et de la peine, quel refuge reste au plébéien que le travail ne peut nourrir, et qui n’est point assez fort pour prendre ?

Pour conduire cette guerre offensive et défensive contre le