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pas un contrôle de la semaille, de la moisson, de la vendange, du fourrage et du bétail, comme un timbre pour les journaux, les circulaires et les mandats, comme une régie pour les brasseurs et les marchands de vin ?… Dans le système du monopole, ce serait, j’en conviens, un surcroît de tourments ; mais avec nos tendances de commerce déloyal et la disposition du pouvoir à augmenter sans cesse son personnel et son budget, une loi d’inquisition sur les récoltes devient chaque jour plus indispensable.

Au surplus, il serait difficile de dire lequel, du libre commerce ou du maximum, engendre le plus de mal dans les temps de disette. Mais quelque parti que vous choisissiez, et vous ne pouvez fuir l’alternative, la déception est sûre, et le désastre immense. Avec le maximum, les denrées se cachent ; la terreur grossissant par l’effet même de la loi, le prix des subsistances monte, monte ; bientôt la circulation s’arrête, et la catastrophe suit, prompte et impitoyable comme une razia. Avec la concurrence, la marche du fléau est plus lente, mais non pas moins funeste : que de gens épuisés ou morts de faim avant que la hausse ait attiré les comestibles ! que d’autres rançonnés après qu’ils sont venus ! C’est l’histoire de ce roi à qui Dieu, en punition de son orgueil, offrit l’alternative de trois jours de peste, trois mois de famine, ou trois années de guerre. David choisit le plus court : les économistes préfèrent le plus long. L’homme est si misérable, qu’il aime mieux finir par la phtisie que par l’apoplexie : il lui semble qu’il ne meurt pas autant. Voilà la raison qui a fait tant exagérer les inconvénients du maximum, et les bienfaits du commerce libre.

Du reste, si la France, depuis vingt-cinq ans, n’a pas ressenti de disette générale, la cause n’en est point à la liberté du commerce, qui sait très-bien, quand il veut, produire dans le plein le vide, et au sein de l’abondance faire régner la famine : elle est due au perfectionnement des voies de communication qui, abrégeant les distances, ramènent bientôt l’équilibre un moment troublé par une pénurie locale. Exemple éclatant de cette triste vérité, que dans la société le bien général n’est jamais l’effet d’une conspiration des volontés particulières !