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compagnies. En sorte qu’aujourd’hui, pas plus qu’auparavant, ni le public, ni M. Arago, malgré leur volte-face, ne savent ce qu’ils veulent.

Quel troupeau c’est au dix-neuvième siècle que la nation française, avec ses trois pouvoirs, avec sa presse, ses corps savants, sa littérature, son enseignement ! Cent mille hommes, dans notre pays, ont les yeux constamment ouverts sur tout ce qui intéresse le progrès national et l’honneur de la patrie. Or, posez à ces cent mille hommes la plus simple question d’ordre public, et vous pouvez être assuré que tous viendront se heurter à la même sottise.

Est-il meilleur que l’avancement des fonctionnaires ait lieu selon le mérite ou l’ancienneté ?

Certes, il n’est personne qui ne souhaitât de voir ce double mode d’évaluation des capacités fondu en un seul. Quelle société que celle où les droits du talent seraient toujours d’accord avec ceux de l’âge ! Mais, dit-on, une telle perfection est utopique, car elle est contradictoire dans son énoncé. Et au lieu de voir que c’est précisément la contradiction qui rend la chose possible, on se met à disputer sur la valeur respective des deux systèmes opposés, qui, conduisant chacun à l’absurde, donnent également lieu à d’intolérables abus.

Qui jugera le mérite ? dit l’un : le gouvernement. Or, le gouvernement ne reconnaît de mérite qu’à ses créatures. Donc, point d’avancement au choix, point de système immoral, qui détruit l’indépendance et la dignité du fonctionnaire.

Mais, dit l’autre, l’ancienneté est très-respectable, sans doute. C’est dommage qu’elle ait l’inconvénient d’immobiliser ce qui est essentiellement volontaire et libre, le travail et la pensée ; de créer au pouvoir des obstacles jusque parmi ses agents, et de donner au hasard, souvent à l’impuissance, le prix du génie et de l’audace.

Enfin, on transige : on accorde au gouvernement la faculté de nommer arbitrairement à un certain nombre d’emplois des hommes soi-disant de mérite, et qu’on suppose n’avoir aucun besoin d’expérience ; pendant que le reste, réputé apparemment incapable, avance à tour de rôle. Et la presse, cette vieille haquenée de toutes les médiocrités présomptueuses, qui ne vit le plus souvent que des compositions gra-