Quoi donc ! voudriez-vous établir, sous prétexte de luxe, de nouvelles catégories de citoyens ? et prenez-vous au sérieux la ville de Salente et la prosopopée de Fabricius ?
Puisque le sujet nous y porte, parlons morale. Vous ne nierez pas sans doute cette vérité rebattue par les Senèque de tous les siècles, que le luxe corrompt et amollit les mœurs : ce qui signifie qu’il humanise, élève et ennoblit les habitudes ; que la première et la plus efficace éducation pour le peuple, le stimulant de l’idéal, chez la plupart des hommes, est le luxe. Les Grâces étaient nues, suivant les anciens ; où a-t-on vu qu’elles fussent indigentes ? C’est le goût du luxe qui de nos jours, à défaut de principes religieux, entretient le mouvement social et révèle aux classes inférieures leur dignité. L’académie des sciences morales et politiques l’a bien compris, lorsqu’elle a pris le luxe pour sujet de l’un de ses discours, et j’applaudis du fond du cœur à sa sagesse. Le luxe en effet est déjà plus qu’un droit dans notre société, c’est un besoin ; et celui-là est vraiment à plaindre qui ne se donne jamais un peu de luxe. Et c’est quand l’effort universel tend à populariser de plus en plus les choses de luxe, que vous voulez restreindre la jouissance du peuple aux objets qu’il vous plaît de qualifier objets de nécessité ! c’est lorsque par la communauté du luxe les rangs se rapprochent et se confondent, que vous creusez plus profondément la ligne de démarcation, et que vous rehaussez vos gradins ! L’ouvrier sue, et se prive, et se pressure, pour acheter une parure à sa fiancée, un collier à sa petite fille, une montre à son fils : et vous lui ôtez ce bonheur, à moins toutefois qu’il ne paye votre impôt, c’est à-dire votre amende !
Mais avez-vous réfléchi que taxer les objets de luxe, c’est interdire les arts de luxe ? Trouvez-vous que les ouvriers en soie, dont le salaire en moyenne n’atteint pas 2 francs ; les modistes à 50 centimes ; les bijoutiers, orfévres, horlogers, avec leurs interminables chômages ; les domestiques à 40 écus, trouvez-vous qu’ils gagnent trop ? Êtes-vous sûr que l’impôt du luxe ne serait pas acquitté par l’ouvrier de luxe, comme l’impôt sur les boissons l’est par le consommateur de boissons ? Savez-vous même si une plus grande cherté des objets de luxe ne serait pas un obstacle au meilleur marché