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que la Providence a résolu de les frapper : non audierunt, dit la Bible, quia Deus volebat occidere eos.

La vente ne pouvant remplir les conditions du monopole, il y a encombrement de marchandises ; le travail a produit en un an ce que le salaire ne lui permet de consommer qu’en quinze mois : donc, il devra chômer un quart de l’année. Mais, s’il chôme, il ne gagne rien : comment achètera-t-il jamais ? Et si le monopoleur ne se peut défaire de ses produits, comment son entreprise subsistera-t-elle ? L’impossibilité logique se multiplie autour de l’atelier ; les faits qui la traduisent sont partout.

« Les bonnetiers d’Angleterre, dit Eugène Buret, en étaient venus à ne plus manger que de deux jours l’un. Cet état dura dix-huit mois. » — Et il cite une multitude de cas semblables.

Mais ce qui navre, dans le spectacle des effets du monopole, est de voir les malheureux ouvriers s’accuser réciproquement de leur misère, et s’imaginer qu’en se coalisant et s’appuyant les uns les autres, ils préviendront la réduction du salaire. « Les Irlandais, dit un observateur, ont donné une funeste leçon aux classes laborieuses de la Grande-Bretagne. Ils ont appris à nos travailleurs le fatal secret de borner leurs besoins à l’entretien de la seule vie animale, et de se contenter, comme les sauvages, du minimum de moyens de subsistance, qui suffisent à prolonger la vie… Instruites par ce fatal exemple, cédant en partie à la nécessité, les classes laborieuses ont perdu ce louable orgueil qui les portail à meubler proprement leurs maisons, et à multiplier autour d’elles les commodités décentes qui contribuent au bonheur. »

Je n’ai jamais rien lu de plus désolant et de plus stupide. Et que vouliez-vous qu’ils fissent ces ouvriers ? Les Irlandais sont venus : fallait-il les massacrer ? Le salaire a été réduit : fallait-il le refuser et mourir ? La nécessité commandait, vous-mêmes le dites. Puis sont arrivés les interminables séances, la maladie, la difformité, la dégénération, l’abrutissement, et tous les signes de l’esclavage industriel : toutes ces calamités sont nées du monopole et de ses tristes antécédents, la concurrence, les machines et la division du travail : et vous accusez les Irlandais !