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se poser à lui-même cette question : Pourquoi suis-je contraint de distinguer sans cesse la pratique de la théorie ? pourquoi ne s’accordent-elles pas ?

M. Blanqui, en homme conciliant et pacifique, appuie le savant M. Dunoyer, c’est-à-dire la théorie. Toutefois il pense, avec M. Dupin, c’est-à-dire avec la pratique, que la concurrence n’est pas exempte de reproches. Tant M. Blanqui a peur de calomnier et d’attiser le feu.

M. Dupin s’obstine dans son opinion. Il cite, à la charge de la concurrence, la fraude, la vente à faux poids, l’exploitation des enfants. Le tout sans doute afin de prouver que la concurrence à l’intérieur peut être utile !

M. Passy, avec sa logique ordinaire, fait observer qu’il y aura toujours des malhonnêtes gens qui, etc. — Accusez la nature humaine, s’écrie-t-il, mais non pas la concurrence.

Dès le premier mot, la logique de M. Passy s’écarte de la question. Ce que l’on reproche à la concurrence, ce sont les inconvénients qui résultent de sa nature, et non les fraudes dont elle est l’occasion ou le prétexte. Un manufacturier trouve moyen de remplacer un ouvrier qui lui coûte 3 fr. par jour, par une femme à laquelle il ne donne que 1 fr. Cet expédient est le seul pour lui de soutenir la baisse et de faire marcher son établissement. Bientôt aux ouvrières, il adjoindra des enfants. Puis, contraint par les nécessités de la guerre, peu à peu il réduira les salaires et augmentera les heures de travail. Où est ici le coupable ? Cet argument peut se retourner de cent façons, et s’appliquer à toutes les industries, sans qu’il y ait lieu d’accuser la nature humaine.

M. Passy lui-même est forcé de le reconnaître, lorsqu’il ajoute : « Quant au travail forcé des enfants, la faute en est aux parents. » — C’est juste. Et la faute des parents, à qui ?

« En Irlande, continue cet orateur, il n’y a point de concurrence, et cependant la misère est extrême. »

Sur ce point la logique ordinaire de M. Passy a été trahie par un défaut de mémoire extraordinaire. En Irlande, il y a monopole complet, universel de la terre, et concurrence illimitée, acharnée pour les fermages. Concurrence-monopole sont les deux boulets que traîne à chaque pied la malheureuse Irlande.