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leur, c’est-à-dire au principe même de la répartition, et par conséquent à l’avénement de l’égalité. Tant qu’un produit n’est donné que par un seul et unique fabricant, la valeur réelle de ce produit reste un mystère, soit dissimulation de la part du producteur, soit incurie ou incapacité à faire descendre le prix de revient à son extrême limite. Ainsi, le privilège de la production est une perte réelle pour la société ; et la publicité de l’industrie comme la concurrence des travailleurs un besoin. Toutes les utopies imaginées et imaginables ne peuvent se soustraire à cette loi.

Certes, je n’ai garde de nier que le travail et le salaire ne puissent et ne doivent être garantis ; j’ai même l’espoir que l’époque de cette garantie n’est pas éloignée : mais je soutiens que la garantie du salaire est impossible sans la connaissance exacte de la valeur, et que cette valeur ne peut être découverte que par la concurrence, nullement par des institutions communistes ou par un décret du peuple. Car il y a quelque chose de plus puissant ici que la volonté du législateur et des citoyens : c’est l’impossibilité absolue pour l’homme de remplir son devoir dès qu’il se trouve déchargé de toute responsabilité envers lui-même : or, la responsabilité envers soi, en matière de travail, implique nécessairement, vis-à-vis des autres, concurrence. Ordonnez qu’à partir du 1er janvier 1847, le travail et le salaire sont garantis à tout le monde : aussitôt un immense relâche va succéder à la tension ardente de l’industrie ; la valeur réelle tombera rapidement au-dessous de la valeur nominale ; la monnaie métallique, malgré son effigie et son timbre, éprouvera le sort des assignats ; le commerçant demandera plus pour livrer moins ; et nous nous retrouverons un cercle plus bas dans l’enfer de misère dont la concurrence n’est encore que le troisième tour.

Quand j’admettrais, avec quelques socialistes, que l’attrait du travail puisse un jour servir d’aliment à l’émulation, sans arrière-pensée de profit, de quelle utilité pourrait être, dans la phase que nous étudions, cette utopie ? Nous ne sommes encore qu’à la troisième époque de l’évolution économique, au troisième âge de la constitution du travail, c’est-à-dire dans une période où il est impossible que le travail soit at-