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blablement, que si un peu d’astronomie fait rire des astrologues, beaucoup d’astronomie ferait croire aux astrologues[1]

  1. Je n’entends point affirmer ici d’une manière positive la transmutabilité des corps ni la désigner comme but aux investigations ; bien moins encore ai-je la prétention de dire quelle doit être sur ce point l’opinion des savants. Je veux seulement signaler l’espèce de scepticisme que font naître dans tout %prit non prévenu les conclusions les plus générales de la philosophie chimique, ou pour mieux dire, les inconciliables hypothèses qui servent de support à ses théories. La chimie est vraiment le désespoir de la raison : de toutes parts, elle touche au fantastique ; et plus l’expérience nous la fait connaître, plus elle s’entoure d’impénétrables mystères. C’est la réflexion que me suggérait naguère la lecture des Lettres sur la chimie de M. Liebig (Paris, Masgana, 1843, trad. de Bertet-Dupiney et Dubreuii-Hélion).
      Ainsi M. Liebig, après avoir banni de la science les causes hypothétiques et toutes les entités admises par les anciens, comme la force créatrice de la ma » lière, l’horreur du vide, l’esprit recteur, etc. (p. 22), admet aussitôt, comme condition d’intelligibilité des phénomènes chimiques, une série d’entités non moins obscures, la force vitale, la force chimique, la force électrique, la force d’attraction, etc. (p. 146, 149). On dirait une réalisation des propriétés des corps, à rinstar de la réalisation que les psychologues ont faite des facultés de l’âme, sous les noms de liberté, imagination, mémoire, etc. Pourquoi ne pas s’en tenir aux éléments ? Pourquoi, si les atomes pèsent par eux-mêmes, comme parait le croire M. Liebig, ne seraient-ils pas aussi par eux-mêmes électriques et vivants ? Chose curieuse ! les phénomènes de la matière, comme ceux de l’esprit, ne deviennent intelligibles qu’en les supposant produits par des forces inintelligibles et gouvernés par des lois contradictoires : c’est ce qui ressort à chaque page du livre de M. Liebig.
      La matière, selon M. Liebig, est essentiellement inerte et dépourvue de toute activité spontanée (p. 148) ; comment alors les atomes sont-ils pesants ? La pesanteur inhérente aux atomes n’est-elle pas le mouvement propre, éternel et spontané de la matière ? et ce qu’il nous arrive de prendre pour repos, ne serait-ce pas plutôt un équilibre ? Pourquoi donc supposer tantôt une inertie que les définitions démentent, tantôt une virtualité extérieure que rien n’atteste ?
      De ce que les atomes sont pesants, M. Liebig conclut qu’ils sont indivisibles (p. 58). Quel raisonnement ! La pesanteur n’est que la force, c’est-à-dire une chose qui ne peut tomber sous le sens, et qui ne laisse apercevoir d’elle que ses phénomènes ; une chose par conséquent à laquelle le concept de division et indivision est inapplicable ; et de la présence de cette force, de l’hypothèse d’une entité indéterminée et immatérielle, on conclut à une matérialité indivisible !
      Au reste, M. Liebig avoue qu’il est impossible à notre intelligence de se figurer des particules absolument indivisibles ; il reconnaît de plus que le fait de cette indivisibilité n’est pas prouvé ; mais il ajoute que la science ne peut se passer de cette hypothèse : en sorte que, de l’aveu des maîtres, la chimie a