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mettrait ne rendrait aucun profit et se perdrait. S’il en était autrement, tous ces terrains seraient aussitôt mis en culture ; les épargnes, qui prennent aujourd’hui une autre direction, se porteraient nécessairement dans une certaine mesure vers les exploitations territoriales ; car les capitaux n’ont pas d’affections, ils ont des intérêts, et cherchent toujours l’emploi à la fois le plus sûr et le plus lucratif. »

Ce raisonnement, très-bien motivé, revient à dire que le moment d’exploiter ses friches n’est pas encore arrivé pour la France, de même que le moment d’avoir des chemins de fer n’est pas venu pour les Caffres et les Hottentots. Car, ainsi qu’il a été dit au chapitre II, la société débute par les exploitations les plus faciles, les plus sûres, les plus nécessaires et les moins dispendieuses : ce n’est que peu à peu qu’elle vient à bout d’utiliser les choses relativement moins productives. Depuis que le genre humain se tourmente sur la face de son globe, il n’a pas fait autre besogne ; et pour lui le même soin revient toujours : assurer sa subsistance tout en allant à la découverte. Pour que le défrichement dont on parle ne devienne pas une spéculation ruineuse, une cause de misère, en d’autres termes, pour qu’il soit possible, il faut donc multiplier encore nos capitaux et nos machines, découvrir de nouveaux procédés, diviser mieux le travail. Or, solliciter le gouvernement de prendre une telle initiative, c’est faire comme les paysans qui, voyant approcher l’orage, se mettent à prier Dieu et invoquer leur saint. Les gouvernements, on ne saurait trop le répéter aujourd’hui, sont les représentants de la Divinité, j’ai presque dit les exécuteurs des vengeances célestes : ils ne peuvent rien pour nous. Est-ce que le gouvernement anglais, par exemple, sait donner du travail aux malheureux qui se réfugient dans les workhouses ? Et quand il le saurait, l’oserait-il ? Aide-toi, le ciel t’aidera ! cet acte de méfiance populaire envers la Divinité nous dit aussi ce que nous devons attendre du pouvoir… rien.

Parvenus à la deuxième station de notre calvaire, au lieu de nous livrer à des contemplations stériles, soyons de plus en plus attentifs aux enseignements du destin. Le gage de notre liberté est dans le progrès de notre supplice.