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mais encore une fois l’équilibre ne sera pas rétabli sur ce point, que déjà il sera troublé sur un autre, parce que l’esprit d’invention, non plus que le travail, ne s’arrête jamais. Or, quelle théorie pourrait justifier ces perpétuelles hécatombes ? « Quand on aura, écrivait Sismondi, réduit le nombre des hommes de peine au quart ou au cinquième de ce qu’il est à présent, on n’aura plus besoin que du quart ou du cinquième des prêtres, des médecins, etc. Quand on les aura retranchés absolument, on pourra bien se passer du genre humain. » Et c’est ce qui arriverait effectivement si, pour mettre le travail de chaque machine en rapport avec les besoins de la consommation, c’est-à-dire pour ramener la proportion des valeurs continuellement détruite, il ne fallait pas sans cesse créer de nouvelles machines, ouvrir d’autres débouchés, par conséquent multiplier les services et déplacer d’autres bras. En sorte que d’un côté l’industrie et la richesse, de l’autre la population et la misère, s’avancent, pour ainsi dire, à la file, et toujours l’une tirant l’autre.

J’ai fait voir l’entrepreneur, au début de l’industrie, traitant d’égal à égal avec ses compagnons, devenus plus tard ses ouvriers. Il est sensible, en effet, que cette égalité primitive a dû rapidement disparaître, par la position avantageuse du maître et la dépendance des salariés. C’est en vain que la loi assure à chacun le droit d’entreprise, aussi bien que la faculté de travailler seul et de vendre directement ses produits. D’après l’hypothèse, cette dernière ressource est impraticable, puisque l’atelier a eu pour objet d’anéantir le travail isolé. Et quant au droit de lever charrue, comme l’on dit, et de mener train, il en est de l’industrie comme de l’agriculture : ce n’est rien de savoir travailler, il faut être arrivé à l’heure ; la boutique, aussi bien que la terre, est au premier occupant. Lorsqu’un établissement a eu le loisir de se développer, d’élargir ses bases, de se lester de capitaux, d’assurer sa clientèle, que peut contre une force aussi supérieure l’ouvrier qui n’a que ses bras ? Ainsi, ce n’est point par un acte arbitraire de la puissance souveraine ni par une usurpation fortuite et brutale que s’étaient établies au moyen âge les corporations et les maîtrises : la force des choses les avait créées longtemps avant que les édits des rois leur eus-