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berté, aveugle de sa nature, prend une fausse et funeste habitude, la raison ne tardera pas elle-même à s’en ressentir ; au lieu d’idées vraies, conformes aux rapports naturels des choses, elle ne retiendra que des préjugés, d’autant plus difficiles à extirper ensuite de l’intelligence, qu’ils seront devenus par l’âge plus chers à la conscience. Dans cet état, la raison et la liberté sont amoindries ; la première est troublée dans son développement, la seconde comprimée dans son essor, et l’homme est dévoyé, c’est-à-dire tout à la fois méchant et malheureux.

Ainsi, lorsqu’à la suite d’une aperception contradictoire et d’une expérience incomplète, la raison eut prononcé par la bouche des économistes qu’il n’y avait point de règle de la valeur, et que la loi du commerce était l’offre et la demande, la liberté s’est livrée à la fougue de l’ambition, de l’égoïsme et du jeu ; le commerce n’a plus été qu’un pari, soumis à certaines règles de police ; la misère est sortie des sources de la richesse ; le socialisme, esclave lui-même de la routine, n’a su que protester contre les effets, au lieu de s’élever contre les causes ; et la raison a dû reconnaître, par le spectacle de tant de maux, qu’elle avait fait fausse route.

L’homme ne peut arriver au bien-être qu’autant que sa raison et sa liberté non-seulement marchent d’accord, mais ne s’arrêtent jamais dans leur développement. Or, comme le progrès de la liberté, de même que celui de la raison, est indéfini, et comme d’ailleurs ces deux puissances sont intimement liées et solidaires, il faut conclure que la liberté est d’autant plus parfaite qu’elle se détermine plus conformément aux lois de la raison, qui sont celles des choses ; et que si cette raison était infinie, la liberté elle-même deviendrait infinie. En d’autres termes, la plénitude de la liberté est dans la plénitude de la raison : summa lex, summa libertas.

Ces préliminaires étaient indispensables pour bien apprécier le rôle des machines, et faire ressortir l’enchaînement des évolutions économiques. À ce propos, je rappellerai au lecteur que nous ne faisons point une histoire selon l’ordre des temps, mais selon la succession des idées. Les phases ou catégories économiques sont dans leur manifestation tantôt contemporaines, tant interverties ; et de là vient l’ex-