littérature, comme le baccalauréat, est devenue partie élémentaire de toute profession. L’homme de lettres réduit à son expression pure est l’écrivain public, sorte de commis-phrasier aux gages de tout le monde, et dont la variété la plus connue est le journaliste…
Ce fut une étrange idée venue aux chambres, il y a quatre ans, que celle de faire une loi sur la propriété littéraire ! comme si désormais l’idée ne tendait pas de plus en plus à devenir tout, le style rien. Grâce à Dieu, c’en est fait de l’éloquence parlementaire comme de la poésie épique et de la mythologie ; le théâtre n’attire que rarement les gens d’affaires et les savants ; et tandis que les connaisseurs s’étonnent de la décadence de l’art, l’observateur philosophe n’y voit que le progrès de la raison virile, importunée plutôt que réjouie de ces difficiles bagatelles. L’intérêt du roman ne se soutient qu’autant qu’il s’approche de la réalité ; l’histoire se réduit à une exégèse anthropologique ; partout enfin l’art de bien dire apparaît comme l’auxiliaire subalterne de l’idée, du fait. Le culte de la parole, trop touffue et trop lente pour les esprits impatients, est négligé, et ses artifices perdent de jour en jour leurs séductions. La langue du dix-neuvième siècle se compose de faits et de chiffres, et celui-là est le plus éloquent parmi nous, qui, avec le moins de mots, sait exprimer le plus de choses. Quiconque ne sait parler cette langue est relégué sans miséricorde parmi les rhéteurs ; on dit de lui qu’il n’a point d’idées.
Dans une société naissante, le progrès des lettres devance nécessairement le progrès philosophique et industriel, et pendant longtemps sert à tous deux d’expression. Mais arrive le jour où la pensée déborde la langue, où par conséquent la prééminence conservée à la littérature, devient pour la société un symptôme assuré de décadence. Le langage, en effet, est pour chaque peuple la collection de ses idées natives, l’encyclopédie que lui révèle d’abord la Providence ; c’est le champ que sa raison doit cultiver, avant d’attaquer directement la nature par l’observation et l’expérience. Or, dès qu’une nation, après avoir épuisé la science contenue dans son vocabulaire, au lieu de poursuivre son instruction par une philosophie supérieure, s’enveloppe dans