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d’antagonisme, à laquelle nous devons les deux maladies les plus anciennes de la civilisation, l’aristocratie et le prolétariat : Le travail en se divisant selon la loi qui lui est propre, et qui est la condition première de sa fécondité, aboutit à la négation de ses fins et se détruit lui-même ; en d’autres termes, La division, hors de laquelle point de progrès, point de richesse, point d’égalité, subalternise l’ouvrier, rend l’intelligence inutile, la richesse nuisible, et l’égalité impossible.

Tous les économistes depuis A. Smith ont signalé les avantages et les inconvénients de la loi de division, mais en insistant beaucoup plus sur les premiers que sur les seconds parce que cela servait mieux leur optimisme, et sans qu’aucun d’eux ne se soit jamais demandé ce que pouvaient être les inconvénients d’une loi. Voici comment J. B. Say a résumé la question :

« Un homme qui ne fait pendant toute sa vie qu’une même opération, parvient à coup sûr à l’exécuter mieux et plus promptement qu’un autre homme, mais en même temps il devient moins capable de toute autre occupation soit physique, soit morale ; ses autres facultés s’éteignent, et il en résulte une dégénération dans l’homme considéré individuellement. C’est un triste témoignage à se rendre que de n’avoir jamais fait que la dix-huitième partie d’une épingle : et qu’on ne s’imagine pas que ce soit uniquement l’ouvrier qui toute sa vie conduit une lime ou un marteau, qui dégénère ainsi de la dignité de sa nature, c’est encore l’homme qui par état exerce les facultés les plus déliées de son esprit… En résultat, on peut dire que la séparation des travaux est un habile emploi des forces de l’homme ; qu’elle accroît prodigieusement les produits de la société ; mais qu’elle ôte quelque chose à la capacité de chaque homme pris individuellement. » (Traité d’Écon. pol.)

Ainsi, quelle est, après le travail, la cause première de la multiplication des richesses et de l’habileté des travailleurs ? la division.

Quelle est la cause première de la décadence de l’esprit, et, comme nous le prouverons incessament, de la misère civilisée ? la division.