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Ie-hovah, se faisant législateur par l’organe de Moïse, atteste son éternité et jure par son essence, il dit, pour formule de serment : moi ; ou bien avec un redoublement d’énergie : moi, l’être. Aussi le dieu des hébreux est le plus personnel et le plus volontaire de tous les dieux, et nul mieux que lui n’exprime l’intuition de l’humanité.

Dieu apparaît donc à l’homme comme un moi, comme une essence pure et permanente, qui se pose devant lui ainsi qu’un monarque devant son serviteur, et qui s’exprime, tantôt par la bouche des poëtes, des législateurs et des devins, musa, nomos, numen ; tantôt par l’acclamation populaire, vox populi vox Dei. Ceci peut servir entre autres à expliquer comment il y a des oracles vrais et des oracles faux ; pourquoi les individus séquestrés dès leur naissance n’atteignent pas d’eux-mêmes à l’idée de Dieu, tandis qu’ils la saisissent avidement aussitôt qu’elle leur est présentée par l’âme collective ; comment enfin les races stationnaires, telles que les chinois, finissent par la perdre[1]. D’abord, quant

    noms personnels dans lesquels la voyelle i, e, ei, oï, figure la personnalité en général, et les consonnes m ou n, s ou t, servent à indiquer le numéro d’ordre des personnes. Au reste, qu’on dispute sur ces analogies, je ne m’y oppose pas : à cette profondeur, la science du philologue n’est plus que nuage et mystère. Ce qui importe et que je remarque, c’est que le rapport phonétique des noms semble traduire le rapport métaphysique des idées.

  1. Les Chinois ont conservé dans leurs traditions le souvenir d’une religion qui aurait cessé d’exister parmi eux des le cinquième ou le sixième siècle avant notre ère. (Voir Pauthier, Chine, Paris, Didot.) Une chose plus surprenante encore, c’est que ce peuple singulier. en perdant son culte primitif, parait avoir compris que la divinité n’est autre que le moi collectif du genre humain ; en sorte que depuis plus de deux mille ans la Chine, dans sa croyance vulgaire, serait parvenue aux derniers résultats de la philosophie de l’Occident. « Ce que le ciel voit et entend, est-il dit dans le Chou-King, n’est que ce que le peuple voit et entend. Ce que le peuple juge digne de récompense et de punition, est ce que le Ciel veut punir et récompenser. Il y a une communication intime outre le ciel et le peuple : que ceux qui gouvernent le peuple soient donc attentifs et réservés. » Confucius avait exprimé la même pensée d’une autre manière : « Obtiens l’affection du peuple et tu obtiendras l’empire ; — Perds l’affection du peuple et tu perdras l’empire. » Voilà la raison générale, l’opinion prise pour reine du monde, comme ailleurs ç’a été la révélation. Le Tao-te-King est encore plus décisif. Dans cet ouvrage, qui n’est qu’une critique ébauchée de la raison pure, le philosophe Lao-Tseu identifie perpétuel-