philosophie avec notre imagination, au lieu de la faire avec l’observation et la méthode ; c’est que la fantaisie et la volonté étant prises partout pour arbitres à la place du raisonnement et des faits, il a été impossible jusqu’à ce jour de discerner le charlatan du philosophe, le savant de l’imposteur. Depuis Salomon et Pythagore, l’imagination s’est épuisée à deviner les lois sociales et psychologiques ; tous les systèmes ont été proposés : sous ce rapport il est probable que tout est dit, mais il n’est pas moins vrai que tout reste à savoir. En politique (pour ne citer ici que cette branche de la philosophie), en politique, chacun prend parti selon sa passion et son intérêt ; l’esprit se soumet à ce que la volonté lui impose ; il n’y a point de science, il n’y a pas même un commencement de certitude. Aussi l’ignorance générale produit-elle la tyrannie générale ; et, tandis que la liberté de la pensée est écrite dans la Charte, la servitude de la pensée, sous le nom de prépondérance des majorités, est décrétée par la Charte.
Pour m’en tenir à la prescription civile dont parle le Code, je n’entamerai pas une discussion sur cette fin de non-recevoir invoquée par les propriétaires ; ce serait par trop fastidieux et déclamatoire. Chacun sait qu’il est des droits qui ne se peuvent prescrire ; et, quant aux choses que l’on peut acquérir par le laps de temps, personne n’ignore que la prescription exige certaines conditions, dont une seule omise la rend nulle. S’il est vrai, par exemple, que la possession des propriétaires ait été civile, publique, paisible et non interrompue, il est vrai aussi qu’elle manque du juste titre, puisque les seuls titres qu’elle fasse valoir, l’occupation et le travail, prouvent autant pour le propriétaire demandeur que pour le propriétaire défendeur. De plus, cette même possession est privée de bonne foi, puisqu’elle a pour fondement une erreur de droit, et que l’erreur de droit empêche la prescription, d’après la maxime de Paul : Nunquàm in usucapionibus juris error possesori prodest. Ici l’erreur de droit consiste, soit en ce que le détenteur possède à titre de propriété, tandis qu’il ne peut posséder qu’à titre d’usufruit ; soit en ce qu’il aurait acheté une