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parti au prorata des propriétés, c’est-à-dire en proportion des peines que chaque propriété donne aux vengeurs et répresseurs salariés par le gouvernement.

Nous voici loin du droit de propriété absolu et inaliénable. Ainsi le pauvre et le riche sont dans un état respectif de méfiance et de guerre ! Mais pourquoi se font-ils la guerre ? pour la propriété ; en sorte que la propriété a pour corrélatif nécessaire la guerre à la propriété !… La liberté et la sûreté du riche ne souffrent pas de la liberté et de la sûreté du pauvre : loin de là, elles peuvent se fortifier et se soutenir mutuellement : au contraire, le droit de propriété du premier a besoin d’être sans cesse défendu contre l’instinct de propriété du second. Quelle contradiction !

En Angleterre, il y a une taxe des pauvres : on veut que je paye cette taxe. Mais quel rapport y a-t-il entre mon droit naturel et imprescriptible de propriété et la faim qui tourmente dix millions de misérables ? Quand la religion nous commande d’aider nos frères, elle pose un prétexte de charité et non un principe de législation. L’obligation de bienfaisance, qui m’est imposée par la morale chrétienne, ne peut fonder contre moi un droit politique au bénéfice de personne, encore moins une institution de mendicité. Je veux faire l’aumône si c’est mon plaisir, si j’éprouve pour les douleurs d’autrui cette sympathie dont les philosophes parlent et à laquelle je ne crois guère : je ne veux pas qu’on me force. Nul n’est obligé d’être juste au delà de cette maxime : Jouir de son droit autant que cela ne nuit pas au droit d’autrui, maxime qui est la propre définition de la liberté. Or, mon bien est à moi, il ne doit rien à personne : je m’oppose à ce que la troisième vertu théologale soit à l’ordre du jour.

Tout le monde, en France, demande la conversion de la rente 5 pour cent ; c’est le sacrifice de tout un ordre de propriétés qu’on exige. On est en droit de le faire, s’il y a nécessité publique ; mais où est la juste et préalable indemnité promise par la Charte ? Non seulement il n’y en a pas ; cette indemnité n’est pas même possible : car si l’indemnité est égale à la propriété sacrifiée, la conversion est inutile.