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teur, ne voit dans les emplois publics que des gratifications, tranchons le mot, des aubaines ! Et c’est parce qu’il les regarde comme une source de profit, qu’il statue sur l’admissibilité des citoyens ! Car à quoi bon cette précaution, s’il n’y avait rien à gagner ? on ne s’avise guère d’ordonner que nul ne sera pilote, s’il n’est astronome et géographe, ni de défendre à un bègue de jouer la tragédie et l’opéra. Le peuple fut encore ici le singe des rois : comme eux il voulut disposer des places lucratives en faveur de ses amis et de ses flatteurs ; malheureusement, et ce dernier trait complète la ressemblance, le peuple ne tient pas la feuille des bénéfices, ce sont ses mandataires et représentants. Aussi n’eurent-ils garde de contrarier la volonté de leur débonnaire souverain.

Cet édifiant article de la Déclaration des droits, conservé par les Chartes de 1814 et de 1830, suppose plusieurs sortes d’inégalités civiles, ce qui revient à dire d’inégalités devant la loi : inégalité de rangs, puisque les fonctions publiques ne sont recherchées que pour la considération et les émoluments qu’elles confèrent ; inégalité de fortunes, puisque si l’on avait voulu que les fortunes fussent égales, les emplois publics eussent été des devoirs, non des récompenses ; inégalité de faveur, la loi ne définissant pas ce qu’elle entend par talents et vertus. Sous l’Empire, la vertu et le talent n’étaient guère autre chose que le courage militaire et le dévouement à l’empereur : il y parut, quand Napoléon créa sa noblesse et qu’il essaya de l’accoupler avec l’ancienne. Aujourd’hui l’homme qui paie 200 fr. d’impositions est vertueux ; l’homme habile est un honnête coupeur de bourses ; ce sont désormais des vérités triviales.

Le peuple enfin consacra la propriété… Dieu lui pardonne, car il n’a su ce qu’il faisait. Voilà cinquante ans qu’il expie une misérable équivoque. Mais comment le peuple, dont la voix, dit-on, est la voix de Dieu, et dont la conscience ne saurait faillir, comment le peuple s’est-il trompé ? comment, cherchant la liberté et l’égalité, est-il retombé dans le privilége et la servitude ? Toujours par imitation de l’ancien régime.