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tique il y a progrès, parce qu’en multipliant le souverain on offre plus de chances à la raison de se substituer à la volonté ; mais enfin il n’y a pas révolution dans le gouvernement, puisque le principe est resté le même. Or nous avons la preuve aujourd’hui qu’avec la démocratie la plus parfaite on peut n’être pas libre[1].

Ce n’est pas tout : le peuple-roi ne peut exercer la souveraineté par lui-même ; il est obligé de la déléguer à des fondés de pouvoir : C’est ce qu’ont soin de lui répéter assidûment ceux qui cherchent à capter ses bonnes grâces. Que ces fondés de pouvoir soient cinq, dix, cent, mille, qu’importe le nombre et que fait le nom ? c’est toujours le gouvernement de l’homme, le règne de la volonté et du bon plaisir. Je demande ce que la prétendue révolution a révolutionné ?

On sait, au reste, comment cette souveraineté fut exercée, d’abord par la Convention, puis par le Directoire, plus tard confisquée par le consul. Pour l’empereur, l’homme fort tant adoré et tant regretté du peuple, il ne voulut jamais relever de lui : mais comme s’il eût eu dessein de le narguer sur sa souveraineté, il osa lui demander son suffrage, c’est-à-dire son abdication, l’abdication de cette inaliénable liberté, et il l’obtint.

Mais enfin, qu’est-ce que la souveraineté ? C’est, dit-on, le pouvoir de faire des lois[2]. Autre absurdité, renouvelée du despotisme. Le peuple avait vu les rois motiver leurs ordonnances par la formule : car tel est notre plaisir ; il voulut à son tour goûter le plaisir de faire des lois. Depuis cinquante ans il en a enfanté des myriades, toujours, bien entendu, par l’opération des représentants. Le divertissement n’est pas près de finir.

  1. Voyez Tocqueville, de la Démocratie aux États-Unis, et Michel Chevalier, Lettres sur l’Amérique du Nord. On voit dans Plutarque, Vie de Périclès, qu’à Athènes les honnêtes gens étaient obligés de se cacher pour s’instruire, de peur de paraître aspirer à la tyrannie.
  2. « La souveraineté, selon Toullier, est la toute-puissance humaine. » Définition matérialiste : si la souveraineté est quelque chose, elle est un droit, non une force ou faculté. Et qu’est-ce que la toute-puissance humaine ?