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par rapport à la justice. La justice, disent-ils, est une fille du ciel, une lumière qui éclaire tout homme venant au monde, la plus belle prérogative de notre nature, ce qui nous distingue des bêtes et nous rend semblables à Dieu, et mille autres choses semblables. À quoi se réduit, je le demande, cette pieuse litanie ? À la prière des sauvages : Ô !

Tout ce que la sagesse humaine a enseigné de plus raisonnable concernant la justice, est renfermé dans cet adage fameux : Fais aux autres ce que tu veux qu’on te fasse ; Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qui te soit fait. Mais cette règle de morale pratique est nulle pour la science : qu’ai-je droit de vouloir qu’on me fasse ou qu’on ne me fasse pas ? Ce n’est rien de dire que mon devoir est égal à mon droit, si l’on n’explique en même temps quel est ce droit.

Essayons d’arriver à quelque chose de plus précis et de plus positif.

La justice est l’astre central qui gouverne les sociétés, le pôle sur lequel tourne le monde politique, le principe et la règle de toutes les transactions. Rien ne se fait entre les hommes qu’en vertu du droit ; rien sans l’invocation de la justice. La justice n’est point l’œuvre de la loi : au contraire, la loi n’est jamais qu’une déclaration et une application du juste, dans toutes les circonstances où les hommes peuvent se trouver en rapport d’intérêts. Si donc l’idée que nous nous faisons du juste et du droit était mal déterminée, si elle était incomplète ou même fausse, il est évident que toutes nos applications législatives seraient mauvaises, nos institutions vicieuses, notre politique erronée : partant, qu’il y aurait désordre et mal social.

Cette hypothèse de la perversion de la justice dans notre entendement, et par une conséquence nécessaire dans nos actes, serait un fait démontré, si les opinions des hommes, relativement au concept de justice et à ses applications, n’avaient point été constantes ; si, à diverses époques, elles avaient éprouvé des modifications ; en un mot, s’il y avait eu progrès dans les idées. Or, c’est ce que l’histoire nous atteste par les plus éclatants témoignages.