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struire par degrés, faut-il pour cela qu’il renie la lumière, qu’il abdique sa raison et s’abandonne à la fortune ? Santé parfaite est meilleure que convalescence : est-ce un motif pour que le malade refuse de guérir ? Réforme ! réforme ! crièrent autrefois Jean-Baptiste et Jésus-Christ ; réforme, réforme ! criaient nos pères il y a cinquante ans, et nous crierons longtemps encore : réforme ! réforme !

Témoin des douleurs de mon siècle, je me suis dit : Parmi les principes sur lesquels la société repose, il y en a un qu’elle ne comprend pas, que son ignorance a vicié, et qui cause tout le mal. Ce principe est le plus ancien de tous, car il est de l’essence des révolutions d’emporter les principes les plus modernes et de respecter les anciens ; or le mal qui nous tourmente est antérieur à toutes les révolutions. Ce principe, tel que notre ignorance l’a fait, est honoré et voulu ; car s’il n’était pas voulu il n’abuserait personne, il serait sans influence.

Mais ce principe, vrai dans son objet, faux quant à notre manière de l’entendre, ce principe, aussi vieux que l’humanité, quel est-il ? serait-ce la religion ?

Tous les hommes croient en Dieu : ce dogme appartient tout à la fois à leur conscience et à leur raison. Dieu est pour l’humanité un fait aussi primitif, une idée aussi fatale, un principe aussi nécessaire que le sont pour notre entendement les idées catégoriques de cause, de substance, de temps et d’espace. Dieu nous est attesté par la conscience antérieurement à toute induction de l’esprit, comme le soleil nous est prouvé par le témoignage des sens avant tous les raisonnements de la physique. L’observation et l’expérience nous découvrent les phénomènes et les lois, le sens intime seul nous révèle les existences. L’humanité croit que Dieu est ; mais que croit-elle en croyant en Dieu ? en un mot, qu’est-ce que Dieu ?

Cette notion de la Divinité, notion primitive, unanime, innée dans notre espèce, la raison humaine n’est pas encore parvenue à la déterminer. À chaque pas que nous faisons dans la connaissance de la nature et des causes, l’idée de Dieu s’étend et s’élève : plus notre science avance, plus