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Entre le commerce ainsi défini et le vol à l’américaine, toute la différence est dans la proportion relative des valeurs échangées, en un mot, dans la grandeur du bénéfice.

On vole : 15o en bénéficiant sur son produit, en acceptant une sinécure, en se faisant allouer de gros appointements.

Le fermier qui vend au consommateur son blé tant, et qui au moment du mesurage plonge sa main dans le boisseau et détourne une poignée de grains, vole ; le professeur, dont l’État paye les leçons, et qui par l’entremise d’un libraire les vend au public une seconde fois, vole ; le sinécuriste, qui reçoit en échange de sa vanité un très gros produit, vole ; le fonctionnaire, le travailleur, quel qu’il soit, qui ne produisant que comme 1 se fait payer comme 4, comme 100, comme 1,000, vole ; l’éditeur de ce livre et moi, qui en suis l’auteur, nous volons, en le faisant payer le double de ce qu’il vaut.

En résumé :

La justice, au sortir de la communauté négative, appelée par les anciens poètes âge d’or, a commencé par être le droit de la force. Dans une société qui cherche son organisation, l’inégalité des facultés réveille l’idée de mérite ; l’équité suggère le dessein de proportionner non-seulement l’estime, mais encore les biens matériels au mérite personnel ; et comme le premier et presque le seul mérite reconnu est alors la force physique, c’est le plus fort, aristos, qui étant par là même le plus méritant, le meilleur, aristos, a droit à la meilleure part ; et si on la lui refuse, tout naturellement il s’en empare. De là à s’arroger le droit de propriété sur toutes choses, il n’y a qu’un pas.

Tel fut le droit héroïque, conservé, du moins par tradition, chez les Grecs et chez les Romains, jusqu’aux derniers temps de leurs républiques. Platon, dans le Gorgias, introduit un nommé Calliclès, qui soutient avec beaucoup d’esprit le droit de la force, et que Socrate, défenseur de l’égalité, tou isou, réfute sérieusement. On raconte du grand Pompée qu’il rougissait volontiers, et que cependant il lui échappa de dire un jour : Que je respecte les lois, quand j’ai les armes à la main ! Ce trait peint l’homme en qui le sens moral et l’ambition se combattent, et qui cherche à