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courte échéance, tandis que la durée du prêt usuraire peut être annuelle, bisannuelle, triennale, novennale, etc. ; or, une différence dans la durée du prêt, et quelques variétés de forme dans l’acte, ne changent pas la nature du contrat. Quant aux capitalistes, qui placent leurs fonds, soit sur l’État, soit dans le commerce, à 3, 4, 5 pour cent, c’est-à-dire qui perçoivent une usure moins forte que celle des banquiers et usuriers, ils sont la fleur de la société, la crême des honnêtes gens. La modération dans le vol est toute la vertu[1].

On vole : 13o par constitution de rente, par fermage, loyer, amodiation.

L’auteur des Provinciales a beaucoup amusé les honnêtes chrétiens du dix-septième siècle avec le jésuite Escobar et le contrat Mohatra. « Le contrat Mohatra, disait Escobar, est celui par lequel on achète des étoffes, chèrement et à crédit, pour les revendre, au même instant, à la même personne, argent comptant et à meilleur marché. » Esco-

  1. Ce serait un sujet curieux et fertile qu’une revue des auteurs qui ont traité de l’usure, ou, comme quelques-uns disent, par euphémisme sans doute, du prêt à intérêt. Les théologiens ont de tout temps combattu l’usure : mais comme ils ont toujours admis la légitimité du bail à ferme ou à loyer, et que l’identité du bail à loyer et du prêt à intérêt est évidente, ils se sont perdus dans un labyrinthe de subtilités et de distinctions, et ont fini par ne plus savoir ce qu’ils devaient penser de l’usure. L’Église, cette maîtresse de morale, si jalouse et si fière de la pureté de sa doctrine, est restée dans une ignorance perpétuelle de la vraie nature de la propriété et de l’usure : elle a même, par l’organe de ses pontifes, proclamé les plus déplorables erreurs. Non potest mutuum, dit Benoît XIV, locationi ullo pacto comparari. « La constitution de rentes, selon Bossuet, est aussi éloignée de l’usure que le ciel l’est de la terre. » Comment, avec de pareilles idées, condamner le prêt à intérêt ? comment surtout justifier l’Évangile, qui défend formellement l’usure ? Aussi la peine des théologiens est extrême : ne pouvant se refuser à l’évidence des démonstrations économiques, qui assimilent avec raison le prêt à intérêt au loyer, ils n’osent plus condamner le prêt à intérêt, et ils sont réduits à dire que, puisque l’Évangile défend l’usure, il faut bien pourtant que quelque chose soit usure. Mais qu’est-ce donc que l’usure ? Rien n’est plus plaisant que de voir ces instituteurs des nations hésiter entre l’autorité de l’Évangile, qui,