même volonté les anime. Une société de bêtes est un assemblage d’atomes ronds, crochus, cubiques ou triangulaires, mais toujours parfaitement identiques ; leur personnalité est unanime, on dirait qu’un seul moi les gouverne tous. Les travaux que les animaux exécutent, soit seuls, soit en société, reproduisent trait pour trait leur caractère : de même que l’essaim d’abeilles se compose d’unités abeilles de même nature et d’égale valeur, de même le rayon de miel est formé de l’unité alvéole, constamment et invariablement répétée.
Mais l’intelligence de l’homme, calculée tout à la fois pour la destinée sociale et pour les besoins de la personne, est d’une tout autre facture, et c’est ce qui rend, par une conséquence facile à concevoir, la volonté humaine prodigieusement divergente. Dans l’abeille, la volonté est constante et uniforme, parce que l’instinct qui la guide est inflexible, et que cet instinct unique fait la vie, le bonheur et tout l’être de l’animal ; dans l’homme le talent varie, la raison est indécise, partant la volonté multiple et vague : il cherche la société, mais il fuit la contrainte et la monotonie ; il est imitateur, mais amoureux de ses idées et fou de ses ouvrages.
Si, comme l’abeille, chaque homme apportait en naissant un talent tout formé, des connaissances spéciales parfaites, une science infuse, en un mot des fonctions qu’il devra remplir, mais qu’il fût privé de la faculté de réfléchir et de raisonner, la société s’organiserait d’elle-même. On verrait un homme labourer un champ, un autre construire des maisons, celui-ci forger des métaux, celui-là tailler des habits, quelques-uns emmagasiner les produits et présider à la répartition. Chacun, sans chercher la raison de son travail, sans s’inquiéter s’il fait plus ou moins que sa tâche, suivrait son ordon, apporterait son produit, recevrait son salaire, se reposerait aux heures, et tout cela sans compter, sans jalouser personne, sans se plaindre du répartiteur, qui ne commettrait jamais d’injustice. Les rois gouverneraient et ne régneraient pas, parce que régner c’est être propriétaire à l’engrais, comme disait Bonaparte ; et, n’ayant rien