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dant par elle-même à isoler les travailleurs, exigeait un accroissement d’énergie dans la sociabilité.

Voilà pourquoi la force qui opprime en protégeant est exécrable ; pourquoi l’ignorance imbécile qui voit du même œil les merveilles de l’art et les produits de la plus grossière industrie soulève un indicible mépris ; pourquoi la médiocrité orgueilleuse, qui triomphe en disant : Je t’ai payé, je ne te dois rien, est souverainement haïssable.

Sociabilité, justice, équité, telle est, à son triple degré, l’exacte définition de la faculté instinctive qui nous fait rechercher le commerce de nos semblables, et dont le mode physique de manifestation s’explique par la formule : Égalité dans les produits de la nature et du travail.

Ces trois degrés de sociabilité se soutiennent et se supposent : l’équité, sans la justice, n’est pas ; la société, sans la justice, est un non-sens. En effet, si, pour récompenser le talent, je prends le produit de l’un pour le donner à l’autre, en dépouillant injustement le premier, je ne fais pas de son talent l’estime que je dois ; si, dans une société, je m’adjuge une part plus forte qu’à mon associé, nous ne sommes point véritablement associés. La justice est la sociabilité se manifestant par l’admission en participation des choses physiques, seules susceptibles de poids et de mesure ; l’équité est une justice accompagnée d’admiration et d’estime, choses qui ne se mesurent pas.

De là se déduisent plusieurs conséquences.

1o Si nous sommes libres d’accorder notre estime à l’un plus qu’à l’autre, et à tous les degrés imaginables, nous ne le sommes pas de lui faire sa part plus grande dans les biens communs, parce que le devoir de justice nous étant imposé avant celui d’équité, le premier doit toujours marcher avant le second. Cette femme, admirée des anciens, qui, forcée par un tyran d’opter entre la mort de son frère et celle de son époux, abandonna celui-ci, sous prétexte qu’elle pouvait retrouver un mari mais non pas un frère, cette femme-là, dis-je, en obéissant au sentiment d’équité qui était en elle, manqua à la justice et fit une action mauvaise, parce que la société conjugale est de droit plus étroite que la société fraternelle, et que la vie du prochain n’est pas une chose qui nous appartienne.