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cordiale amitié ; dans le faible, c’est le bonheur de l’admiration et de la reconnaissance.

L’homme supérieur par la force, le talent ou le courage, sait qu’il se doit tout entier à la société, sans laquelle il n’est et ne peut rien ; il sait qu’en le traitant comme le dernier de ses membres, la société est quitte envers lui. Mais il ne saurait en même temps méconnaître l’excellence de ses facultés ; il ne peut échapper à la conscience de sa force et de sa grandeur : et c’est par l’hommage volontaire qu’il fait alors de lui-même à l’humanité, c’est en s’avouant l’instrument de la nature, qui seule doit être en lui glorifiée et bénie ; c’est, dis-je, par cette confession simultanée du cœur et de l’esprit, véritable adoration du grand Être, que l’homme se distingue, s’élève et atteint un degré de moralité sociale auquel il n’est pas donné à la bête de parvenir. Hercule terrassant les monstres et punissant les brigands pour le salut de la Grèce, Orphée instruisant les Pélasges grossiers et farouches, tous deux ne voulant rien pour prix de leurs services, voilà les plus nobles créations de la poésie, voilà l’expression la plus haute de la justice et de la vertu.

Les joies du dévouement sont ineffables.

Si j’osais comparer la société humaine au chœur des tragédies grecques, je dirais que la phalange des esprits sublimes et des grandes âmes figure la strophe, et que la multitude des petits et des humbles est l’antistrophe. Chargés des travaux pénibles et vulgaires, tout-puissants par leur nombre et par l’ensemble harmonique de leurs fonctions, ceux-ci exécutent ce que les autres imaginent. Guidés par eux, ils ne leur doivent rien : ils les admirent cependant et leur prodiguent les applaudissements et les éloges.

La reconnaissance a ses adorations et ses enthousiasmes.

Mais l’égalité plaît à mon cœur. La bienfaisance dégénère en tyrannie, l’admiration en servilisme : l’amitié est fille de l’égalité. Ô mes amis, que je vive au milieu de vous sans émulation et sans gloire ; que l’égalité nous assemble, que le sort marque nos places. Que je meure avant de connaître celui d’entre vous que je dois estimer le plus.