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les distinctions de proximité que les hommes observent entre eux ne sont pas inconnues aux animaux ; ils ont des amitiés d’habitude, de bon voisinage, de parenté, et des préférences. Comparativement à nous, le souvenir chez eux en est faible, le sentiment obscur, l’intelligence à peu près nulle ; mais l’identité dans la chose existe, et notre supériorité sur eux à cet égard vient tout entière de notre entendement.

C’est par l’étendue de notre mémoire et la pénétration de notre jugement que nous savons multiplier et combiner les actes que nous inspire l’instinct de société ; que nous apprenons à les rendre plus efficaces et à les distribuer selon le degré et l’excellence des droits. Les bêtes qui vivent en société pratiquent la justice, mais elles ne la connaissent point et n’en raisonnent pas ; elles obéissent à leur instinct sans spéculation ni philosophie. Leur moi ne sait pas unir le sentiment social à la notion d’égalité qu’elles n’ont pas, parce que cette notion est abstraite. Nous, au contraire, partant du principe que la société implique partage égal, nous pouvons, par notre faculté de raisonnement, nous entendre et nous accorder sur le règlement de nos droits ; nous avons même poussé très loin notre judiciaire. Mais dans tout cela notre conscience joue le moindre rôle, et ce qui le prouve, c’est que l’idée du droit, qui paraît comme une lueur dans certains animaux les plus voisins de nous par l’intelligence, semble partir du même niveau dans quelques sauvages, pour s’élever à sa plus grande hauteur chez les Platon et les Franklin. Qu’on suive le développement du sens moral dans les individus, et le progrès des lois dans les nations, et l’on se convaincra que l’idée du juste et de la perfection législative sont partout en raison directe de l’intelligence. La notion du juste, que les philosophes ont crue simple, est donc véritablement complexe ; elle est fournie par l’instinct social d’une part, et par l’idée de mérite égal de l’autre ; de même que la notion de culpabilité est donnée par le sentiment de la justice violée et par l’idée d’élection volontaire.

En résumé, l’instinct n’est point modifié par la connaissance qui s’y joint, et les faits de société que nous avons