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leurs patrons, bien que produisant avec eux, n’entrent pas dans le partage du produit. Ainsi le cheval qui traîne nos diligences, et le bœuf qui tire nos charrues, produisent avec nous, mais ne sont pas nos associés ; nous prenons leur produit, mais nous ne partageons pas. La condition des animaux et des ouvriers qui nous servent est égale : lorsque nous faisons du bien aux uns et aux autres, ce n’est pas par justice, c’est par pure bienveillance[1].

Mais se peut-il que nous, hommes, nous ne soyons pas tous associés ? Rappelons-nous ce qui a été dit aux deux chapitres précédents ; quand même nous voudrions n’être point associés, la force des choses, les besoins de notre consommation, les lois de la production, le principe mathématique de l’échange, nous associent. Un seul cas fait exception à la règle, c’est celui du propriétaire, qui produisant par son droit d’aubaine n’est l’associé de personne, par conséquent n’est obligé de partager son produit avec personne, comme aussi nul n’est tenu de lui faire part du sien. Hormis le propriétaire, nous travaillons tous les uns pour les autres, nous ne pouvons rien pour nous-mêmes sans l’assistance des autres, nous faisons entre nous des échanges continuels de produits et de services : qu’est-ce que tout cela, sinon des actes de société ?

Or une société de commerce, d’industrie, d’agriculture, ne peut être conçue en dehors de l’égalité ; l’égalité est sa condition nécessaire d’existence : de telle sorte que dans toutes les choses qui concernent cette société, manquer à la société, manquer à la justice, manquer à l’égalité, c’est exactement la même chose. Appliquez ce principe à tout le genre humain ; après ce que vous avez lu, je vous suppose, lecteur, assez d’habileté pour vous passer de moi.

  1. Exercer un acte de bienfaisance envers le prochain se dit en hébreu faire justice ; en grec faire compassion ou miséricorde (éléomosynên, d’où le français aumône) ; en latin faire amour ou charité ; en français faire l’aumône. La dégradation du principe est sensible à travers ces diverses expressions : la première désigne le devoir, la seconde seulement la sympathie ; la troisième l’affection, vertu de conseil, non d’obligation ; la quatrième le bon plaisir.