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de l’instant où permission égale d’occuper est donnée à tous. Ce qui rend ici notre devoir obscur, c’est notre faculté de prévision, qui, nous faisant craindre un danger éventuel, nous pousse à l’usurpation, et nous rend voleurs et assassins. Les animaux ne calculent pas le devoir de l’instinct, non plus que les inconvénients qui en peuvent résulter pour eux-mêmes : il serait étrange que l’intelligence devînt pour l’homme, pour le plus sociable des animaux, un motif de désobéir à la loi. Celui-là ment à la société qui prétend n’en user qu’à son avantage ; mieux vaudrait que Dieu nous retirât la prudence, si elle devait servir d’instrument à notre égoïsme.

Quoi ! direz-vous, il faudra que je partage mon pain, le pain que j’ai gagné, qui est mien, avec l’étranger que je ne connais pas, que je ne reverrai jamais ; qui peut-être me payera d’ingratitude ! Si du moins ce pain avait été gagné en commun, si cet homme avait fait quelque chose pour l’obtenir, il pourrait demander sa part, puisque son droit serait dans sa coopération ; mais qu’y a-t-il de lui à moi ? Nous n’avons pas produit ensemble, nous ne mangerons pas ensemble.

Le vice de ce raisonnement consiste dans la supposition fausse que tel producteur n’est pas nécessairement l’associé de tel autre producteur.

Lorsque entre deux ou plusieurs particuliers une société a été authentiquement formée, que les bases en ont été convenues, écrites, signées, dès lors point de difficulté sur les conséquences. Tout le monde convient que deux hommes s’associant, par exemple, pour la pêche, si l’un d’eux ne rencontre pas le poisson, il n’en a pas moins droit à la pêche de son associé. Si deux négociants forment une société de commerce, tant que la société dure, les pertes et les profits sont communs ; chacun produisant, non pour soi, mais pour la société, lorsque vient le moment du partage, ce n’est pas le producteur que l’on considère, c’est l’associé. Voilà pourquoi l’esclave, à qui le planteur donne la paille et le riz ; l’ouvrier civilisé, à qui le capitaliste paye un salaire toujours trop petit, n’étant pas les associés de